Nicomede Bianchi, Storia documentata della diplomazia Europea in Italia Volume II (Torino 1865) 422-429:
Paris, 25 février 1829.
Le retour subit d’une infirmité qui avait, chez lui, devancé la vieillesse, vient de trancher inopinément les jours de Leon XII. Un conclave va s’assembler pour lui nommer un successeur: et Monseigneurs les cardinaux de Clermont-Tonnerre , de la Fare, de Croys, de Latil et Isoard sont appelés A concourir, de leur vote, à l' accomplissement de cette œuvre importante et solennelle.
Dans tous les temps, sans doute, l’électlon du chef spirituel de la chrétienté, a été pour l’assemblée qui procède a sa nomination, une tache aussi importante que solennelle. Jamais aucune chose n’a demandé plus de calme, de discernement et de maturité. Mais, aujourd’hui, une telle tâche se complique avec les circonstances. Si la grandeur est la méme, la diffculté s’accroit en raison de l’état actuel des sociétés et des modifications imprimées par le temps aux mœurs et aux opinions. Il n’a jamais été plus essentiel et pour le bien dela religion, pour les intéréts de l’église et de la catholicité, pour l’indépendance du S. Siège et pour celle de l’Italie, pour la tranquillité des Gouvernements et le bonheur des fidèles, d’élever sur la chaire de S. Pierre un pontife digne par ses vertus, son caractère et ses talents, d'obtenir l'estime de son siècle et d’honorer ce trone illustré par de si grands noms.
Tel a été Léon XII dans les derniéres années de son règne. La conduite prudente et réfléchie, l’esprit de conciliation et de paix qu’il a apporté dans ses relations avec les Puissances, la juste appréciation des limites qui séparent l'empire du sacerdoce, une part équitablement faite aux nécessités politiques, l'élévation d`ame, les vertus supérieures qui le diatinguaient, sa constante et paternelle sollicitude pour le bien étre de son peuple; son infatigable activité dans les soins du Gouvernement, au milieu des souffrances d’une vie que s’éteignait prématurément, de si nobles qualités suffisent pour recommander sa mémoire au respect des peuples, et rendre sa perte justement regrettable.
Le roi, qui connaissait l' attachement de ce pontife pour la France et qui n’a jamais eu qu’a se féliciter des ses rapports avec lui, a vivement senti cette perte. Il fait les vœux les plus sincères pour qu’elle soit réparée par le choix du conclave. Il désire surtout que monseigneurs les cardinaux Français avant de s’y rendre, se pénètrent bien de ses intentions et de sa manière d’envisager l’élection d'un nouveau pape.
La politique du roi, dans cette circonstance grave, est ce qu’elle a toujours été, franche, impartiale et désintéressée: elle n'est dirigée par d’autres considérations que par celle du bien général de la religion et de la chrétienté. S. M. n’a personnellement en vue aucun cardinal dont elle désire, plus exclusivement, l’élection au pontificat. Ce qu’elle demande, c'est un pape vertueux, versé dans la connaissance des aifaires, doué de cette modération, qui chez les hommes éclairés s’asaocie toujours à l' exercice du pouvoir et qui n’est autre chose que cette parole de paix et de justice qui accompagne toujours le sage de l ’ Ecriture Sainte; animé de ce sentiment profondément religieux et si éminemment chrétien qui faisait dire a Léon XII quelques temps avant sa mort: Je ne suis qu' un Evêque comme un autre Evêque; assez au courant de l’esprit du siècle et des affaires politiques, pour comprendre les embarras de l‘autorité, et par conséquent assez sage pour la seconder et pour ne pas troubler par des prétentions ou des discussions inopportunes la bonne harmonie qui doit présider aux rapports des Souverains avec le S. Siège ou avec le Clergé de leurs Etats. Ce que le roi désire encore, c’est que le successeur de Léon XII puisse etre, comme lui, indépendant par caractère et par principes; et que n’étant dévoué à aucune Puissance en particulier, il puisse étre agréé par toutes en général.
Tel est le Souverain pontife qui convient au roi età la France, parcequ’il convient a l’Eglise, au S. Siege, et a l’Europe. A ces conditions, nous nous uuirons volontiers a toute Puissance étrangère, comme à toute fraction du Sacré Collège qui travaillerait de bonne foi à faire prédominer le choix d'un tel candidat. C’est dire que le roi sera toujours pret à seconder l’élection de celui qui paraîtra le plus digne.
Il serait diilîcile d’asseoir un jugement sur les combinaisons qui se développeront dans le sein du conclave, les vues des partis ou les intrigues de la politique étrangère. Y aura-t-il cette année, plus qu’en 1823, un parti des couronnes proprement dit'! Les Puissances catholiques s’entendront·elles plus qu’elles ne le tirent a l’époque du dernier conclave, pour diriger l’ élection sur le pontife qui conviendrait le mieux à l’Eglise et a la chrétienté? C’est sans doute ce qu’elles devraient faire, mais ce dont il est encore impossible de juger.
Il n’y eut point de parti des couronnes dans le dernier conclave, a moins qu’ou ne veuille appeler ainsi l’union instantanée et forcée du Cabinet autrichien, que dirigeait le cardinal Albani, avec la fraction du Sacré Collège qui agissait dans le sens de la France. Mais il est de fait qu’il n’existait point entre les Puissances ce concert de vues et d’action dont elles avaient pris autrefois 1'habitude et qui pourrait encore leur ménager aujourd’hui la principale influence dans un conclave, surtout si cet accord était franc, intime et combiné dans les principes de désintéressement et de modération.
Ce n’est pas que l’ Autriche n’ait mis tous ses soins a faire croire à l’existence de ce parti des couronnes et surtout a accréditer l’opinion qu’elle lui donnait Pimpulsion. Il est vrai qu’elle disposait en apparence des Cours de Naples et de Sardaigne. Mais ce concours était nul par le fait; car en général les cardinaux Napolitains et Siciliens agissaient au conclave dans un sens diamétralement opposé aux instructions de leur Gouvernement qui leur avait prescrit de marcher de concert avec l' Autriche, et les cardinaux Piémontais, que le roi de Sardaigne après avoir promis son concours a l’Autriche , avait laissé libres de ne suivre d’autre impulsion que celle de leur conscience, marchèrent sur la méme ligne que les cardinaux Napolitains.
L’Espagne, qui n’était représentée au conclave, que par un seul cardinal, avait des vues tout a fait opposées aux nôtres. Elle s’unissait aux Zelanti, ardents, et son ministre a Rome était tout entier dans les principes de cette faction. Le Portugal n’était pas méme représenté au conclave.
Ainsi la France, qui avant la révolution, voyait ordinairement se rallier a elle les Cours de la Maison de Bourbon et la Sardaigne, se présentait isolée a l’ouverture du conclave de 1823. Les principes étaient ce qu’ils sont encore aujourd’hui. Elle n’avait aucun systéme ambitieux a faire prévaloir. Elle ne voulait pour Pape qu’un sujet dont l' esprit et le caractère oürissent a l’Eglise et a l’Europe des gages de bien-étre et de tranquillité. Comme le cardinal Castiglioni, grand pénitencier, lui paraissait réunir aussi de semblables garanties, elle aurait vu son élection avec plaisir et messieurs de Clermont-Tonnerre et de la Fare avaient reçu du roi l’ordre d’y travailler de tout leur pouvoir. A défaut du cardinal Castiglioni, c’était sur le cardinal Della Somaglia que S. M. portait ses vues et son suffrage.
L’Autriche n’avait aucun parti dans le conclave, parceque la politique excitait en général la méfiance des Zelanti et du parti italien. Aussi s’était-elle attachée à la faction Consalvi et travaillait-elle à faire élire le cardinal sicilieu Arezzo sous le nom duquel elle espérait que le cardinal Consalvi eut continué de diriger les affaires, comme il l’avait fait sous Pie VII. C’est cette faction, qui n’était que le parti des cardinaux politiques, que l’ambassadeur d’Autriche a Rome aurait voulu faire passer pour le parti des couronnes et qui sur la fin du conclave fut obligée par la force des choses de se rallier au parti de la France.
La Cour de Vienne, compte-t-elle auj0urd'l1ui dans le Sacré Collège plus de partisans qu’elle n'en comptait alors? Peut-elle espèrer de la part des cardinaux Napolitains et Piémontais plus d‘appui qu’elle n`en obtint en 1823, supposé d’aillenrs qu‘elle puisse entrainer dans ses vues le Cours des Deux-Siciles et de Sardaigne? Ces deux Cours elles mêmes voudront·elles cette fois, agir d‘accord avec la France et dans ce sens, leurs cardinaux plus dociles qu’ils ne le furent eu 1823 aux instructions qu’ils avaient reçues, s'uniraient-ils à monseigneurs les cardinaux Français? Enfin après s’être convaincu qu'elle ne peut rien par elle même et sans la France dans un conclave, l' Autriche nous proposera-t elle d’agir de concert avec nous dans celui qui va s’assembler?
C’est ce qu'il est diûcile de décider dans l' état actuel des choses, et c’est ce qui imposera à monseigneurs les cardinaux Français l' obligation d’observer avec soin la situation respective des esprits, avant de donner leur confiance et de prendre leurs déterminations.
Ils pourront toutefois recueillir, sur toutes ces questions d’utiles renseignements de monsieur l’ambassadeur du roi, avec lequel il sera nécessaire qu’ils s’entendent et qui leur fournira V toutes les lumières que sa haute position et la supériorité de son esprit n’auront pu manquer de lui procurer. Peut-être à défaut d’un concert réel, l'Autriche cherchera-t'-elle comme en 1823, à accréditer l`opinion qu`il existe: et s’il n'est pas présumable qn'elle veuille précisément le Pape que choisirait la France, il est certain aussi qu’elle ne veut pas plus que nous qu’il soit pris dans les rangs des Zelanti, outrés. Mais si elle est d’accord avec nous sur l'exelnsion d’un tel candidat, il est certain qu’elle en dilïére par les motifs. Ce n`est pas tant l’inflexible rigidité du zélantisme et de ses maximes ultramontaines qu’elle redoute et qu’elle repousserait au besoin. Quoiqu’elle ne soit pas moins attachée que nous au grand principe de l'indépendance des couronnes qu'elle fait respecter avec soin dans ses Etats, ce qu`elle déteste avant tout dans les Zelanti c`est leur éloignement bien prononcé pour ses prétentions sur l'ltalie, c'est le sentiment honorable d’indépendance et de nationalité qui les distingue.
C’est parmi eux que I’Autriche trouvera sans doute encore ses antagonistes l s plus prononcés, car indépendamment de leur aversion politique pour elle, les cardinaux de cette faction n’ont probablement oublié ni l’exclusion dont la Cour de Vienne, par le cardinal Albani, frappait en 1823 le cardinal de leur choix. ni 1’im probation assez maladroite que'elle manifesta contre l'élection du cardinal Della Genga. Il est vrai, ce qui contribua puissamment à les aigrir contre la Cour de Vienne furent l'appui qu‘elle donnait au cardinal Consalvi et son intention avouée de préter son appui au système d’administration de ce secrétaire d'Etat. Le faible parti du cardinal Consalvi s’étant éteint avec son chef, il est à croire que les Zclanti qui formeront sans doute encore la majorité du conclave ne se laisseront plus aller à l’esprit des préoccupations que leur inspirait la présence de cet adversaire et la lutte engagée avec sa faction; il se formera vraisemblablement au sein du conclave un parti nombreux composé de tous les esprits sages et modérés.
C’est à ce parti que monseigneurs le cardinaux Français devront s‘at.tacber, c’est sur lui principalement qu’ils devront opérer, pour réunir le plus grand nombre de votes possibles en faveur du candidat les plus dignes d'étre élu. La considération dont la France jouit à Rome, la piété du roi, sa politique franche et loyale, sa bienveillance connue envers le Gouvernement pontifical, la confiance dont il a récemment donné à Léon XII une si grande preuve dans des circonstances délicates, l’intérét naturel qu‘il prend à l' indépendance du S. Siège et à celle de l‘Italie, seront pour monseigneurs les cardinaux Français, de nombreux et puissants titres à la confiance du Sacré Collège, et des nobles éléments de crédit et d'influence. Ils persuaderont facilement les esprits, lorsqu’ils exprimeront au nom de S. M. le désir de voir donner la tiare a un cardinal italien, à un Zelante modéré, dans l’intérét exclusif de la religion, du S. Siège et de la chrétienté.
Le roi, comme on l`a déja dit, avait porté en 1823 ses vues sur le cardinal Castiglioni. L’opinion favorable qu’il s'est formée des lumières et du caractère de ce cardinal, n‘a pas changé, et ce choix serait sans doute encore désirable , sous tous les rapports. S. M. verrait également avec plaisir l’élection du cardinal qui jouit d'une juste réputation d’intégrité et sur lequel le parti italien réunirait volontiers les suffrages, de Gregorio, dont on vante l.·s lumières et la modération, et qui professe un entier dévouement a la famille des Bourbons; de Brancadoro que d'honorables souvenirs attachent à la France, et de Zurla qui par les principes appartient au parti des Zelanli, mais que ses vertus douces et modestes, sa vaste instruction et la droiture de son caractère préserveraient des faux conseils d’un zèle outré, et qui ne serait pas selon la sagesse; et du danger non moins redoutable de Pexagération de certaines opinions Au surplus, les promotions qui ont eu lieu, sous lc pontificat de Leon XII ont modifié la composition du Sacré Collège. Il doit s'y trouver aujourd’hui d’autres sujets qui sont aussi dignes de nos suürages que Castiglioni, réunissant peut·étre en leur faveur autant et plus de chances d’élection. Nous avons appris qu’a Rome ou portait déja comme Pappegianti les cardinaux Benvenuti , Cappellari et Giustiniani. Nous n’avoas aucune objection contre les deux premiers , dont l‘un a fait preuve d’habileté dans une administration diücile, et l’autre a montré dans une grande et récente question où la France était intéressée, des principes remarquables de sagesse et de modération. Mais le roi ne pourrait voir, sans inquiétude, la majorité du conclave se décider en faveur du cardinal Giustiniani , et en effet l’esprit d'exaltation qui le distingue, son zélantisme ardent et la conduite peu mesurée qu'il a tenu pendant sa nonciature d'Espagne, donneraient justement lieu de craindre qu'il ne portat dans l’exercice de la Papauté un esprit peu favorable à la paix de l’Eglise , et a la bonne harmonie de nos rapports avec le S. Siege. Du reste ces premiers bruits ne constituent point encore des chances positives et ce sont, a proprement parler, de ces questions incertaines , comme la physionomie d’un conclave lui méme. Mais il est deux points sur lesquels l'opinion du roi est invariablement arrêtée; d`une part, il n’est plus possible de songer au cardinal Della Somaglia dont le grand age a complètement affaibli les facultés, et dont l'élection ne placerait sur le trône de S. Pierre qu'un fantome pret a s’évanouir au moindre souffle; d’autre part il serait fort à désirer que le cardinal Bernetti, dont S. M. a pu apprécier le bon esprit et les lumières, continuat sous le Pape futur d'exercer les fonctions de secrétaire d’État.
L’intention très-expresse du roi est que MM. les cardinaux de Clermont-Tonnerre et de La Fare, de Croy, de Latil et Isoard agissent dans un parfait accord de langue et de conduite, pendant tout le temps de leur séjour a Rome et de leur présence au conclave. Des différences à cet égard auraient les plus graves inconvénients; et S. M. verrait avec beaucoup de peine, qu’ils s'écartassent d’un principe d'union si indispensable. Son intention est également qu'ils s’entendent dela manière la plus intime avec M. le vicomte de Chateaubriand, son ambassadeur, et qu'il s’établisse entr’eux et lui un commun échange de ' renseignements et d'avis utiles au bien du service du roi. L' expérience que M. M. les cardinaux de Clermont—Tonnerre et de La Fare ont acquise en 1823 de la marche habituelle des conclaves et de la statistique personnelle du Sacré Collège, les notions de même nature qu'un long séjour à Rome a procurés à M. Isoard seront pour M. M. les cardinaux francais des antécédents et des guides précieux, dans les circonstances au milieu desquelles il vont se trouver. Le roi aime à compter sur leur zèle et sur leur fidélité a remplir ses intentions dont l’esprit leur est suiiîsamment indiqué dans ce mémoire destiné à leur tenir lieu d’instructions générales. Ce n’est en effet, que des directions de cette nature que S. M. peut leur donner quant à présent. Elle n’a point, à proprement parler, de plan formé pour élever sur la chaire pontifîcale qu pour en exclure tel ou tel membre du Sacré Collège. Elle regretterait même d’avoir à donner une exclusion formelle et authentique, mais ce n’est pas moins un cas a prévoir; et cette nécessité se présenterait si la majorité des voix menaçait de se déclarer en faveur d’un`sujet dont les préjugés personnels, un zèle aveugle, un caractère intolérant et inquiet, et surtout l' habitude de dépendre de telle ou telle grande Puissance, seraient susceptibles de faire pressentir à l’Eglise une administration dangereuse aux Gouvernements étrangers et à la France en particulier, des complications et des embarras de plus d'un genre. Cette circonstance qui, comme nous l' éspérons, ne se produira pas, pourrait seule déterminer le roi à faire usage d'un expédient qu'il faut toujours éviter, et qui peut entrainer de graves inconvénients. D’ailleurs S. M. n’aperçoit point en ce moment de sujet contre lequel elle serait dans le cas d’user de cette mesure extreme; elle laisse aux incidents du conclave le soin de déterminer sa résolution à cet égard.
— Charles.
Comte Portalis.