Le Pape Paul V. de la maison de Borgheze, avoit succedé à Leon XI. et avoit pris soin devant son élection de persuader à la maison Aldobrandine qu'il estoit fort reconnoissant des graces qu'il avoit recevés de Clement VIII. dont il estoit creature. Il s' estoit mesme insinué adroittement auprés de la Signora Olimpia Aldobrandine belle soeur du Pape, pour montrer un attachement plus particulier aux interests de cette maison, dans la veuë d'estre assisté de leur credit et de leurs amis pour s'élever au Pontificat; mais bien qu'il fust consideré par eux comme un sujet fort propre à remplir cette place dans son temps, et à repondre a leurs desseins, son aage toutefois peu avancé; car il n'avoit que 52 ans, sembloit estre un ostacle difficile à surmonter, et l'auroit esté, sans doute, à un autre moins heureux que luy; mais sa bonne fortune l'emporta sur la maxime establie dans l'esprit de tous les Cardinaux de ne faire que des Papes fort vieux; les uns dans l'esperance de posseder à leur tour cette suprême dignité; les autres dans la crainte de voir trop affermir l'authorité des Neveux sous de longs Pontificats. Aussi Paul V. ayant creu que le hazard et le Cardinal de Ioyeuse avoit plus de part à son élection que les Offices de la maison Aldobrandine; car les Cardinaux ne pouvans s' accorder pour l'élection d'un Pape, firent un Compromis, par lequel le Cardinal de Ioyeuse demeura arbitre du choix qui se devoit faire: de sorte qu'il éleut Paul V. Il ne fit aucun scrupule de persecuter le Cardinal Aldobrandin, comme l'on dira dans la suite, et considera peu les engagemens dans lesquels il estoit auparavant.
Il ne fut pas moins heureux pendant le cours de son Pontificat, qu'il avoit esté au temps de son élection, il joüist tousjours d'une parfaite santé durant les quatorze années qu'il fut Pape, et eût si peu d' incommodité, qu'il ne manqua pas un seul jour a dire la Messe, que la veille de celuy dont il tomba malade de la maladie qui l'emporta. Il estoit reconnu pour avoir de bonnes moeurs, et sa vie avoit tousjours esté fort innocente; mais il ne fut pas exempt de la passion que les Papes ont pour leurs Neveux, et fut au contraire si sensiblement touché du desir d' élever et agrandir sa maison, qu'il donna peu de soin aux affaires generales où l' Eglise lors avoit beaucoup de part, et ne voulut jamais employer la moindre partie des richesses qu'il avoit amassées contre les protestans d' Allemagne, quoy qu'il en fust puissamment solicité par l'Empereur et par les autres Princes Catholiques.
Dans le temps de son Pontificat, il renouvella presque tout le College des Cardinaux; de sorte que lors qu'il mourut il n'en restoit plus que six de la creation de Sixte V. et dix de Clement VIII. en conptant le Cardinal Aldobrandin son Neveu; le Cardinal Farnese de la creation de Gregoire XIV. et le Cardinal Sforce de celle de Gregoire XIII.. Ce grand nombre des creatures de aul V. faisoit croire au Cardinal Borgheze que rien ne luy estoit impossible dans le dessein de donner un successeur à son Oncle, tel qu'il jugeroit estre plus convenable à ses interests. Le Cardinal Borghese avoit l'esprit agreable, il estoit d'une conversation aisée, qu'il accompagnoit toujours de beaucoup de civilité: il amoit les plaisirs beaucoup plus que les affaires, et ne s'y attachoit qu'autant qu'il le croyoit necessaire, pour ne pas déplaire à son Oncle, qui avoit l'humeur grave et serieuse; mais bien qu' il fust d'un temperamment qui ne sembloit pas le porter à former des desseins de si loin, il avoit toutefois jetté les yeux sur le Cardinal Campora les dernieres années de la vie de son Oncle, quoy qu'il y eust d'autres personnes plus considerables pour leurs bonnes qualitez et par leur naissance entre ses creatures; mais comme il jugeoit qu'il pouvoit s'assurer du Cardinal Campora plus aisément que d'un autre, et que s'estoit un moyen de faire subsister son credit dans la Cour de Rome, parce qu'il estoit de basse naissance, d'un esprit mediocre, et que par consequent il luy devoit estre plus obligé de son élevation, il employa toute son industrie et s' appliqua entierement à faire reüssir son projet, et fut peu touché en suite du desir de faire un plus digne choix.
Cependant comme le party d'Espagne estoit pour lors tres-puissant a Rome, et l'emportoit sur celuy de France, parce qu'il avoit trois Cardinaux de la nation qui residoient ordinairement et qu'il y en avoit beaucoup d'autres des pays de l'obeyssance d'Espagne, lesquels bien qu'ils n'ayent pas une dépendance si soûmise, n'osent pourtant aller directement contre ses interests, sans compter les autres advantages qu'ils tirent des grands Estats qu'ils possedent en Italie. Le Cardinal Borgheze he douta pas qu'il ne fallust s'appuyer du costé des Espagnols, et les rendre favorables à l'élection de Campora; dans cette pensée, il l'avoit engagé dans la confiance des Espagnols, et l' avoit mis en estat de leur rendre des services: de telle sorte que l'on l'appelloit à Rome le Conseil de l'Ambassadeur d'Espagne, et mesme dans la derniere promotion que fit Paul V. quelque peu de temps avant que de mourir, il avoit eu cette veuë de se fortifier de creatures dévoüées à ses interests, et à l' élevation du Cardinal Campora; car il y en avoit deux de l'Estat de Milan, et amy particulier de Campora. Cette affectation parut encore, par une action du Cardinal [Giulio] Roma; lequel estant logé chez Campora, mit les Armes d'Espagne sur sa porte.
Le Cardinal d'Este qui estoit considerable par sa naissance et par ses amis, favorisoit entierement les desseins de Borgheze pour Campora, il le regardoit comme un sujet du Duc de Modene son frere (car il estoit de la grassiniane) et esperoit que par cette raison, lors qu'il seroit parvenu à ses pretentions, il auroit plus d'égard qu'un autre a les contenter touchant les differends des vallées de Comachio.
Le Cardinal Farneze suivoit les sentimens du Cardinal de Medicis, et les engagemens qu'ils avoient pris ensemble, fondés sur l' alliance de leurs maisons.
De trois Cardinaux Venitiens [Priuli, Valier], il y en avoit deux creatures de Borgheze, selon les apparences ils devoient suivre les mouvemens de la Republique, laquelle ne leur auroit pas conseillé de fortifier le party des Espagnols, avec qui elle estoit tres-mal en ce temps-là: mais comme les Cardinaux Venitiens n'ont pas une dépendance comme ceux de France et d'Espagne, parce que la Republique ne contribuë à leur elevation que d'une simple recommandation, ils croyent avoir aussi plus de liberté de suivre leurs sentimens et leurs interests particuliers.
Le Cardinal Montalte, Neveu de Sixte V. estoit suivy de cinq Cardinaux, et n' avoit pas encore engagé ses suffrages ny ceux de ses amis à personne.
Le Marquis de Coeuvres, Ambassadeur de France à Rome, connoissant les advantages que les Espagnols tiroient de leur union avec le Cardinal Borgheze, travailloit à reparer par ses soins et par son industrie la foiblesse du party de France, qui n'avoit que le Cardinal Bonzy qui lui fust asseuré, parce qu'il estoit de la nomination du Roy, et les Cardinaux Delphin et Bevilaqua, qui avoient donné en plusieurs occasions des marques considerables de leur affection à son service; ca soit que l'on crût que la forte et vigoreuse santé du Pape deust aller plus loin, ou que les grandes affaires dans lesquelles sa Majesté estoit occupé, l' eussent empesché d'avoir toute l'application necessaire à celles de Rome: on n'avoit pas songé d'envoyer aucun Cardinal de la nation, ny donné les instructions particulieres a l'Ambassadeur de la maniere dont il se devoit conduire, et pas un des moyens ordinaires pour s'acquerir des amis; mais seulement des ordres pour s'opposer à l'élection de Campora, et pour se joindre à ceux qui voudroient l'exclure; et qu'en suite comme il n'y avoit pas d'apparence de pouvoir faire un Pape, hors des creatures de Borgheze, on avoit fait dessein de porter le Cardinal d'Aquino Napolitain, allié de la maison des Caraffes, et par consequent peu affectionné à la Couronne d'Espagne, à cause du souvenir des injures que ceux de cette maison en avoient receu. Le Cardinal d'Aquino avoit beaucoup de bonnes qualitez et les inclinations aussi nobles que sa naissance; mais il avoit aussi beaucoup de retenuë et de sagesse, et vivoit avec peu d'éclat, pour ne pas attirer l'envie et ne pas faire penetrer ses pensées, et bien qu'il eust accepté en ce temps-là, comme par force, la Comprotection d'Espagne, il ne laissoit pas de faire dire sous main à l'Ambassadeur, qu'il le prioit de se souvenir qu'il estoit petit neveu de Paul quatriéme. Outre ces raisons generales, il y en avoit de particulieres, qui avoient beaucoup contribué a luy faire prendre ce dessein, à sçavoir la confiance que le Cardinal d'Aquino avoit aux Conseils d'un Prelat qui estoit auprés de luy passionné pour les avantages de la France, et l'amitié que le Cardinal Pignatelli confident et favory du Cardinal Borgheze, témoignoit au Cardinal d'Aquino, estoit ce qui donnoit plus d'esperance de reüssir en sa faveur, parce qu'il luy promettoit tous les jours d'employer son credit pour le servir avec succez, si l'élection de Campora ne reussisoit pas.
Le Marquis de Coeuvres jugeant toutefois qu'il estoit difficile de le servir aussi heureusement que l'on souhaitoit, prit toutes les précautions necessaires pour le secret; et au lieu que le Cardinal Borgheze et les Espagnols declaroient ouvertement leur pensée, il prenoit soin de mesnager les esprits adroittement et sans bruit, et tâchoit de profiter du dégoust qu'une conduite si peu sage donnoit à la pluspart des Cardinaux, et mesme aux creatures de Borgheze.
Le Cardinal Ubaldin fut un de ceux que le Marquis de Coeuvres rechercha davantage, le connoissant pour estre homme d'esprit et de merite, et par ce qu'il jugeoit qu'il devoit estre plus picqué qu'un autre de la preference que Borgheze donnoit à Campora par dessus le reste de ses creatures; comme il n'estoit pas entierement satisfait de la France, il songea à la mesnager, et à le regagner par des bienfaits et par la consideration des interests communs. Il se trouva dans la suite si puissant en moyens de servir sa Majesté, qu'il offrit à l'Ambassadeur d'attirer avec luy douze ou treize Cardinaux creatures de Borghese.
Pour le Cardinal Aldobrandin, il n'estoit pas difficile de le porter contre les interests de Borgheze et de Campora, et l'on prit aisément des mesures avec luy, bien qu'il fust en son Archevesché de Ravenne, d'où il avoit liberté de faire des voyages à Rome, selon les occasions; la longue et injuste persecution qu'il souffroit depuis les premieres années du Pontificat, luy faisoit craindre que l' élection de Campora ne fust un moyen pour faire durer sa disgrace, parce que Borgheze, qui selon toutes les apparences devoit conserver un grand credit auprés de luy, songeroit à l'éloigner pour tousjours de la Cour de Rome, selon les maximes d'Italie, où l'on ne croid pas qu'il puisse y avoir de reconciliation sincere; mais voicy le sujet de sa persecution.
Le Cardinal Aldobrandin Neveu de Clement VIII. possedoit avec plusieurs grands Benefices la charge de Camerlingue, souhaitée avec passion de tous les Neveux des Papes, parce que l'authorité temporelle tombe entre les mains du Camerlingue dans la vaccance du Pontificat. Paul V. fort attaché à la grandeur de sa maison, n'ayant pas jugé de moyen plus facile pour la tirer du Cardinal Aldobrandin, qu'en luy faisant craindre une recherche de sa vie et de ses actions, pour le faire consentir à s'en defaire, et par là asseurer son repos, ou bien à l'en depoüiller avec violence (ce qui n'est pas sans exemple à Rome) avoit obligé le Cardinal Aldobrandin de se retirer en Savoye, où apres avoir demeuré fort longtemps, et employé plusieurs fois les Offices du Duc de Savoye auprés du Pape avec peu de succez, il avoit enfin obtenu depuis trois ou quatre ans la permission de revenir en son Archevesché de Ravennes. Toutes ces raisons l'unissoient puissamment avec ceux qui souhaittoient l'exclusion de Campora, outre qu'il avoit beaucoup de disposition a favoriser les interests de la France, pour laquelle Clement VIII. avoit tesmoigné une bonté paternelle. Il estoit suivy de dix Cardinaux qui restoient de la creation de son Oncle, ce qui le rendoit fort considerable. Il y en avoit bien quelques autres mescontens du choix de Borgheze, et particulierement le Cardinal Ursin; mais comme il estoit fort mal avec la France, on ne luy avoit fait aucune ouverture, et on le regardoit seulement comme un homme qui pouvoit se joindre a l' exclusion oar le ressentiment du mespris que Borgheze avoit tousjours fait de luy, car il n'avoit receu que des dégousts et des desplaisirs, au lieu des graces qu'il avoit raison de pretendre, à cause de l'alliance de leurs maisons.
Voila a peu prés la disposition des esprits et des mesures que l'on avoit prises de part et d'autre. Le Cardinal Borgheze et les Espagnols agissoient avec beaucoup d'éclat et une entiere confiance d'emporter ce qu'ils souhaitoient: les autres au contraire faisoient consister la force de leur opposition dans l' addresse et dans le secret, et je ne doute pas que si Borgheze eut esté plus desfiant ou plus dissimulé, il n'eust reüssi selon ses desseins; mais cette passion si aveugle et si declarée pour Campora, avoit soûlevé non seulement ceux qui ne l'aimoient pas, mais ceux mesmes de qui il croyoit estre le plus asseuré, cherchoient par des voyes secrettes et cachAntonio Zapata y Cisneroses à traverser une chose qui estoit desagreable à tout le monde.
L' union n'estoit pas grande entre les Cardinaux Espagnols. Le Cardinal Borgia ne pouvoit pardonner au Cardinal Sapete [Antonio Zapata y Cisneros] de l' avoir depossedé de la Vice-Royauté de Naples, et de la principale confiance des affaires de Rome dont il estoit chargé, non plus qu' à Borgheze qu'il croyoit avoir contribué à l'élevation de son Competiteur et à son abaissement; de sorte qu'il souhaittoit que l'un et l'autre n'eust pas la satisfaction qu'il esperoit. Cependant comme l'on a dit que l'on ménageoit du costé de la France tout à la fois l'exclusion de Campora et l'élection d'Aquino, tous ceux qui s'estoient joints pour l'un l'estoient aussi pour l'autre avec beaucoup de fermeté. Mais comme il est difficile en ces sortes de nogitiations de se pormettre de pouvoir élever infailliblement celuy que l'on porte par preference au Pontificat, il faut en considerer aussi quelqu'autre, afin que le premier dessein venant à estre traversé par de puissantes brigues, on ne se trouve pas apres sans aucune mesure. On avoit jetté les yeux sur le Cardinal Ludovisio Evesque de Bolongne, dont l'esprit estoit fort doux, creature de Borgheze aussi bien que d'Aquino, et dont la France n'avoit jamais eu sujet de se plaindre.
Il y avoit bien entre les creatures de Paul V. deux Cardinaux de rare et singulier merite; à sçavoir Arachely [Agostino Galamini, Cardinal Priest of S. Maria in Aracoeli] et [Scipione Cobelluzzi, Cardinal Priest de] Sainte Suzanne; mais on jugeoit impossible de pouvior reussir en leur faveur, parce que leur merite leur donnoit une exclusion naturelle auprés du Cardinal Borghese et des Espagnols, et l'on crût qu'il ne falloit pas s'amuser a des negociations inutiles; car c'est une maxime assuerée, qu'autant que la France souhaitte et a inerests d'élever un Cardinal en qui il n'y ait rien à desirer pour la suffisance et pour la vertu, autant les Espagnols ont d'aversion pour ces qualitez, et ne cherchent que la foiblesse et l'incapacité.
Les choses estoient en cet estat lors que Paul V. allant à pied de l'Eglise de la Minerve à celle de L'anima, pour assister au Te Deum qui se devoit chanter our la bataille de Prague, que l'Empereur avoit gagnée sur les Protestans, eut une attaque d'apoplexie, laquelle pourtant ne l'empescha pas de dire la Messe sans ceremonies; il se parta aussi bien depuis jusques à la Feste de Sainte Agnes [January 28], où estant allé en devotion, il eût encore une seconde attaque, mais si violente, qu'estant revenu à Montecavallo, il tomba en une espece de lethargie, dont il mourut six jours [? heures] apres: l'on fit les ceremonies accoustumées pour ses obseques, et chacun songea à faire reüssir les desseins qu'il avoit formez.
Le Cardinal [Pietro] Aldobrandin que l'on croyoit devoir estre le Chef de l'exclusion de Campora, estoit en son Archevesché de Ravennes (1604-1621), et le Cardinal [Alessandro] Ludovisio à celuy de Bolongne (1612-1621), et n'arriva que le jour que l'on entra dans le Conclave. Aldobrandin fit plus de diligence, estant plus jeune (49), et en apparence d'une complexion meilleure. Il arriva le quatriéme jour apres la mort du Pape, par un temps froid qui luy redoubla la fluxion et l'asme dont il y avoit long-temps qu'il estoit incommodé; pour le Cardinal d'Aquino, il entra si malade dans le Conclave, qu'il fut obligé d'en sortir, et mourut le mesme jour: de sorte que le Cardinal Ludovisio profita heureusement des pratiques que l'on avoit conduites pour l'autre avec beaucoup d' industrie et de secret.
L'Ambassadeur de France ne manqua pas de visiter le Cardinal [Pietro Aldobrindini] aussi-tost qu'il eust appris son arrivée: la diligence qu'il apporta à regler avec luy la conduite qu'il devoit tenir pour l'exclusion de Campora, ne fut pas inutile; parce qu'il auroit este impossible de traiter avec luy d'affaires. Le lendemain la fiévre l'ayant pris avec assez de violence, il le vid encore une fois par civilité; mais sans luy vouloir parler d'aucune chose, esperant que le repos pourroit soulager son mal; outre que sa Charge de Camerlingue empeschoit qu'il ne pust prendre celuy qui luy estoit necessaire; il ne pust entrer dans le Palais de S. Pierre, à cause de son indisposition, que le matin dont le Conclave se devoit fermer; il le fit sçavoir a l'Ambassadeur de France, qui ne manqua pas de l'aller voir aussi-tost: il fut bien surpris de le trouver avec peu d'emotion à la verité; mais dans une si grande foiblesse, qu'il ne pouvoit sortir du lict. On peut aisément s'imaginer combien un contre-temps si fâcheux fit de peine à l'Ambassadeur, et d'autant plus que l'on disoit tous les jours à ses amis que sa maladie estoit peu de chose, et qu'il se reposoit seulement pour agir plus fortement dans le Conclave. Il est vray que la foiblesse du corps n'avoit rien diminué de son esprit et de son courage: il avoit les sentimens aussi vifs que s'il eust esté en parfaite santé, et le souvenir du mauvais traittement qu'il avoit receu l'animoient contre la memoire de l'Oncle, et les interests du Neveu.
Le Marquis de Coeuvres, à qui la maladie du Cardinal Aldobrandin pariossoit un embarras de grande importance, fut bien plus surpris, lors qu'apres avoir concerté toutes choses avec luy pour l'élection de d'Aquino, et en suite pour celle de Ludovisio, il luy apprit qu'il n'estoit plus en estat de se rendre chef de l'exclusion, comme il s'y estoit engagé; que son mal ne luy permettoit pas d'agir et de sortir du lict, et qu'il estoit necessaire de la faire au nom du Roy. L'Ambassadeur qui n'avoit que des ordres generaux de s'opposer à l'election de Campora, ne manqua pas de luy representer les raisons qui le devoient empescher de consentir à un si prompt changement. Il adjousta qu'il avoit rendu compte au Roy des mesures que l'on avoit prises des termes ausquels on en estoit demeuré; qu'il ne luy estoit plus possible de donner de nouvelles paroles là-dessus, et d'engager le roy son Maistre dans une affaire de cette importance, dont l'évenement estoit incertain, sans des ordres particuliers; et apres avoir eu avec le Cardinal Aldobrandin toute la contestation là-dessus, que sa maladie et le peu de temps de leur entretien pouvoit permettre, le Marquis de Coeuvres luy dit qu'il ne manqueroit pas de le revoir l'apresdinée, que cependant il le prioit de bien considerer ses raisons, et se retira chez luy avec toutes les inquietudes que l'on peut penser; a peine y estoit il arrivé que le Sieur Bernardinary et Ferdinand Rousselay le vinrent trouver de la part du Cardinal Ubaldin, pour luy apprendre qu'il y avoit sujet de craindre que le Cardinal Borghese ayant le nombre qu'il convenoit pour faire reüssir l'élection de Campora, ne la voulut tenter avec precipitation sans observer toutes les formes ordinaires.
Cette nouvelle obligea le Marquis de Coeuvres de ressortir avec beaucoup de diligence, et faire sçavoir au Cardinal Ubaldin qu'il seroit bien aise de le pouvoir entretenir en arrivant au Conclave; que cependant si le Cardinal Borgheze vouloit entreprendre quelque chose d'extraordinaire, il falloit s'y'opposer, et faire des protestations contre ses entreprises; qu'il avoit pourtant de la peine à croire que le Cardinal Borgheze eust assez de fermeté et d'experience pour porter les choses dans cette extremité. Le Marquis de Coeuvres en entrant dans le Conclave, trouva les esprits remis de l' apprehension qu'ils avoient euë, et particulierement le Cardinal Ubaldin, qui agissoit avec beaucoup d'adresse et de conduite: il apprit à l'Ambassadeur qu'il n'avoit rien oublié pour détourner le Cardinal Borgheze de suivre avec tant d'opiniatreté le dessein de faire élire le Cardinal Campora, sans vouloir écouter aucune autre proposition; qu'il luy avoit representé qu'il pouvoit choiser entre les creatures de Paul V. que Ludovise, dont le naturel estoit fort doux et la complexion delicate, luy estoit fort propre. et qu'il n'avoit pas sujet d'en rien apprehender; et que bien qu'il creût estre asseuré d'un grand nombre de Cardinaux, que peut-estre ils ne se porteroient pas tous avec le mesme esprit et la mesme affection aux choses qu'il souhaittoit. Le Cardinal Borgheze au lieu de faire reflexion sur le discours du Cardinal Ubaldin, à peine se pouvoit il resoudre à l'écouter, tant il croyoit sa brigue asseurée, et se flattoit qu'il n'y avoit plus rien capable de la traverser: on disoit mesme à Rome que l'on avoit fait peindre le Cardinal Campora en habits Pontificaux. Cependant l'Ambassadeur de France à qui la declaration du Cardinal Aldobrandin faisoit la derniere peine, ne voyant pas qu'il luy fust possible de sortir du lict, et agir selon ses premiers engagemens, et qu'il n'y avoit pas de raison de se charger au nom du Roy d'une exclusion dont l'évenement estoit si douteux, il prit le party sur le champ de dire au Cardinal Aldobrandin et à tous ceux du party, qu'ils ne manqueroient pas de Chef aussi-tost que l'exclusion seroit formée; et que pour y parvenir avec plus de seureté, qu'il jugeoit à propos que le Cardinal Aldobrandin, et les creatures de Clement VIII. s'obligeassent par écrit de ne se point separer pour quelques raisons que ce pust estre de l'exclusion de Campora, aussi bien que pour faire reüssir l'élection de d'Aquino ou de Ludovisio. Bien que cette façon de s'obliger par écrit fut sans exemple, ils ne laisserent pas de le faiare, portez par les puissantes raisons de l'Ambassadeur, et la pressante necessité de l'affaire; car sans cét expedient, l'élection de Campora estoit infaillible: apres avoir surmonté cette difficulté, il en survint une autre qui n'estoit pas moins considerable, à cause du peu de temps que l'on a pour remedier aux accidens qui naissent en ces affaires, où l'on ne sçavoit marcher avec trop de précaution.
Il est necessaire de sçavoir que le nombre des Cardinaux du Conclave estoit de cinquante-deux; que comme il faut avoir les deux tiers favorables pour l'élection, le tiers aussi suffit pour exclure: Sur ce fondement, aussi-tost apres la mort du Pape, le Marquis de Coeuvres avoit depesché à Monsieur de Villiers, Ambassadeur du roy à Venise, pour obtenir de la Republique des ordres pressans, afin que de trois Cardinaux Venitiens, il y en pust avoir deux qui suivissent les interests de la France. Il en parla mesme au Seigneur Sorenzo, Ambassadeur de la Republique à Rome, lequel écrivit à la verité comme il avoit promis; mais bienloin d'y porter les Cardinaux Venitiens, il les confirma dans la pensée de suivre les mouvemens de leur gratitude pour Borgheze, et luy-mesme s'estoit laissé flatter de l'esperance d'être Cardinal pour recompense de ce service: ce qui le fit manquer à l'interest general et à celuy de la Republique, qui estoit fort mal pour lors avec la maison d'Autriche, tant d'Espagne que d'Allemagne. Le Courrier que la Republique envoyoit exprés à son Ambassadeur, n'arriva que sur les sept heures du soir, le jour que les Cardinaux estoient entrez dans le Conclave, et qu'on estoit prest à le fermer. L'Ambassadeur de Venise, selon les ordres esprés qu'il en avoit receus, apprit au Marquis de Coeuvres que la Republique ne souhaittoit rien tant que de donner cette marque d'affection au Roy son Maistre: mais qu'il n'avoit pû rien gagner sur l'esprit de ces deux Cardinaux, bien qu'il n'eust épargné aucune raison pour les persuader, et qu'il estoit impossible de détruire l'opinion qu'ils avoient; que leur reconnoissance pour Borgheze devoit estre preferée à toute les autres considerations; que pour luy, il luy disoit sincerement les choses sans aucun déguisement, afin qu'il songeast de bonne heure à prendre d'autres mesures. Cette réponse que l'on ne prevoyoit pas le surprit extrémement, et le fit songer aussi-tost, avec ceux du party de France, à regagner d' autres voix pour remplir le nombre que nous avons dit qui estoit necessaire. Cependant le Cardinal Borgheze qui ne doutoit plus du succez qu'il s'estoit proposé, fit retirer des neuf heures du soir l'Ambassadeur d'Espagne, afin de ne pas laisser de pretexte à celuy de France, non seulement pour y demeurer davantage; mais pour avoir sujet de le presser de sortir pour fermer le Conclave. Il est vray que l'on fit plusieurs efforts pour l'y obliger; mais il ne voulut jamais y consentir, et remetrant d'une heure à une autre, il fit traîner sa sortie jusques à six heures du matin.
Cependant il fut obligé de revoir tous les Cardinaux, il parla à Montalte qui estoit Chef de party, comme nous avons dit; il le pria de considerer que la passion qu'il témoignoit pour l'élection de Campora, ne produitoit autre chose que la ruyne de la maison Ursine, parce que le Cardinal Ursin son Neveu témoignoit autant d'envie de l'exclure, que luy de le favoriser, et que s'estant declaré avec tant de chaleur, il seroit aussi le premier objet de la haine et de la disgrace de ce nouveau Pape; qu'il n'estoit pas juste à la verité qu'il manquât aux paroles qu'il avoit données au Cardinal Borgheze; mais qu'il estoit raisonnable de laisser aux cinq Cardinaux, creatures de Sixte V. la liberté de suivre leur inclinations; que cela estant, il engageroit les Cardinaux associez contre Campora, a donner leur voix à Justinian ou à Delmonté ses creatures. Cette ouverture avoit esté faite à l'Ambassadeur par le Cardinal Justinian, sujet d'une grande vertu et d'un grand merite, et qui avoit l'exclusion des Espagnols, parce qu'ils n'avoient jamais pû oublier que le Cardinal de Joyeuse, Protecteur des affaires de France, l'avoit laissé Comprotecteur en partant de Rome, dans le temps que le Roy Henry le Grand n'estoit pas encores reconcilié avec le Saint Siege, et que le Pape Clement VIII. ne luy avoit pas encore accordé sa Benediction. Le Cardinal Montalte se rendit aux raisons de l'Ambassadeur, et luy promit de laisser ses amis en liberté de faire ce qu'ils voudroient.
Ayant veu en suite le Cardinal Barbarin, qu'il avoit connu en France au temps de sa Nonciature, il fut fort estonné de connoistre qu'il se fust flatté luy-mesme à cinquante-deux ans, de l'esperance de pouvoir estre pape dans ce Conclave. Le Marquis de Coeuvres ne crût pas qu'il fust necessaire de le détromper de la vanité de cette pensée; au contraire, il luy offrit tout ce qui dépendoit de luy pour sa satisfaction, et luy dit seulement qu'il ne luy paroissoit pas que ce fust un moyen fort propre à faire reüssir ses pretentions, que de s'estre engagé si avant pour Campora. Il luy répondit qu'en tous ceux qui sembloient desirer son élection, il y'avoit plus d'apparence de gratitude et de bien-seance que de sincerité; que l'arrivée du Cardinal [Maurizio] de Savoye [Henri IV's nephew], qui venoit à Rome pour estre Protecteur des affaires de France, releveroit le courage à tous ceux qui luy estoient contraires. L'Ambassadeur ne pût s'empescher de luy dire qu'il estoit veritablement en chemin; mais qu'il ne falloit pas prendre une entiere confiance en luy, jusques à ce qu'il eust entretenu, et tire des asseurances expresses contre Campora; parce qu'il estoit adverty que le Duc de Savoye s'estoit rendu aux offices que le Duc de Modene avoit faites en sa faveur auprés de luy. Le Cardinal Barbarin en se separant de l'Ambassadeur, luy adjousta qu'il ne pouvoit s'empescher de luy dire que le Cardinal Borgheze alloit de cellule en celule, pour faire voir une Lettre du Roy au Pape sur le sujet de l'Evesque de Luçon [Armand Jean Duplessis de Richelieu], dans laquelle il paroissoit qu'il n'avoit pas tout le secret de la Cour. L'Ambassadeur receut cette marque de confiance du Cardinal Barbarin, comme un offet de bonne volonté, et le détrompa de cette opinion. Il estoit cependant bien vray, que dans la Negotiation qui avoit esté faite à Rome pour retirer la Nomination au Cardinalat en faveur de l'Evesque de Luçon, l'Ambassadeur n'en avoit pas eu tout le secret, par la jalousie de quelques Ministres qui ne l'aymoient pas, et qui dans les commencemens avoient fait ce qu'ils avoient pû pour traverser le choix que Sa Majesté avoit fait de luy.
On ne manqua pas de parler au Cardinal Tonty, qui avoit beaucoup de sujet de ne pas aymer le Cardinal Borgheze, qui l'avoit éloigné des bonnes graces et de la confiance de Paul V. auprés duquel il avoit eu beaucoup de credit dans les premieres années de son Pontificat. On n'eut pas de peine à le persuader de se joindre avec ceux de l'exclusion; mais il ne pouvoit se resoudre de donner sa voix au Cardinal Ludovisio, pour lequel ilavoit beaucoup d'aversion, et s'estoit mesmes chargé de memoires fort injurieux à sa reputation. Il se laissa vaincre toutesfois aux raisons de l'Ambassadeur, et particulierement à celles du Cardinal Aldobrandin, qui luy representa que dans la necessité d'avoir Campora ou Ludovisio pour Pape, il valloit bien mieux avoir le dernier qui estoit d'un naturel fort doux; que l'autre de qui l'esprit estoit malicieux et remply d'ambition, et qu'il trouveroit de plus en la personne de Campora l'élevation de deux ennemis.
Cependant Ubaldin travailloit de son costé avec beaucoup de succez; le Cardinal Borgia avoit tousjours entretenu avec luy une grande intelligence; et pour lors, il trouvoit en sa confiance un moyen de satisfaire la haine qu'il avoit pour le Cardinal Sapathe, et pour le Cardinal Borgheze, en l'advertissant ponctuellement des choses les plus particulieres: mais ce qu'il avoit ménagé plus avantageusement pour le party, c'est qu'il avoit gagné sur le Cardinal Capony, avec qui il avoit une amitié fort estroite, qu'il se declareroit contre Campora si l'on ne pouvoit reüssir à s'asseurer un suffrage dont on avoit encores besoin pour l'exclusion; il l'obligea mesmes d'en donner des asseurances à l'Ambassadeur, qui les receut aec beaucoup de secret et de satisfaction. Ils demeurerent apres tous trois de concert, que le Cardinal Capony paroistroit plus engagé que personne à suivre les inerests de Borgheze; qu'il flatteroit mesmes ses sentimens afin de donner plus de poids à ses conseils, et qu'il ne perdroit ensuite aucune occasion, comme il estoit extremément habile, de luy faire perdre la pensée d'élever Campora, à cause des difficultez qui s'y rencontroient, et luy faire considerer les advantages qu'il tireroit de l' élection d'une autre creature de Paul V.
L'Ambassadeur n'ayant plus rien à desirer ny à faire pour le service de son Maistre, sortit du Conclave, et laissa la conduite du reste au Cardinal Bonzy, qui n'avoit pour but que la gloire et la reputation de Sa Majesté; car autant les differentes passions de haines, d'envies, et d'interest, faisoient agir presque tous les Cardinaux qui restoient dans le Conclave, autant il avoit de desir de s'acquitter dignement de son devoir, et de faire paroistre son zele pour la France.
Mais il est important de scavoir (car c'est presque la seule cause de l'élection de Ludovisio) que le Cardinal Borgheze incontinent apres la mort du Pape Paul V. avoit pris des mesures avec le Cardinal Montalte et le Cardinal de Medicis, avec beaucoup de secret, pour se les asseurer davantage contre les recherches du party contraire, et leur avoit promis sa voix et celle de tous ses amis, en faveur du Cardinal Delmonté, apres avoir essayé de faire reüssir l'élection de Campora, ou d'un autre de ses creatures. Bien que l'on puisse croire que le Cardinal Borgheze n'eut pris ses derniers engagemens que pour les entretenir de fausses esperances, et non pas pour manquer à ceux qu'il avoit ménagé depuis si long-temps avec les Espagnols, il eut esté toutesfois bien difficile de leur faire entendre qu'un si grand secret, et les precautions qu'ils avoient prises pour leur cacher des mesures si contraires à leurs interests, n'estoit que pour les mieux servir; d'autant plus qu'une des principales conditions qu'ils avoient exigé de luy lors qu'ils avoient exige de luy lors qu'ils s'estoient unis, c'estoit qu'ils ne favoriseroient jamais l'élection du Cardinal Delmonte, auquel ils avoient donné une exclusion formelle.
On peut aussi attribuer en quelque façon la prompte élection du Cardinal Ludovisio, à l'impatience que le Cardinal Sapathe avoit de retourner à Naples, comme il estoit chargé du secret du Conclave, et de la principale confiance des affaires de Rome: il arriva deux ou trois jours apres la mort du Pape; et soit qu'il fust persuadé que l'élection de Campora estoit infaillible, il s'estoit flatté de voir une prompte decision, et ne craignoit rien tant que d'estre arresté trois ou quatre mois dans le Conclave, et qu'on n'enuoyast quelqu'autre commander dans le Royaume de Naples; de sorte qu'il aymoit mieux voir finir toutes choses de quelque façon que ce fust, que de les voir retardées par de longues contestations.
Le matin que le Conclave fut fermé, on dit la Messe du Saint Esprit, comme c'est l'ordinaire, et l'on employa ce jour-là à voir ce qui pourroit reüssir par la voye du Scrutin. Le Cardinal Borgheze trouva un grand méconte dans les choses qu'il avoit esperées, et connut qu'il estoit besoin de nouvelles negotiations pour les conduire au poinct qu'il souhaittoit. Le Cardinal Capony connoissant l'embarras où estoit le Cardinal Borgheze, prit occasion de luy parler, ainsi que l'on estoit demeuré d'accord. Et apres avoir commencé son discours par le déplaisir qu'il avoit de voir qu'il ne recevoit pas toute la satisfaction qu'il ne recevoit pas toute la satisfaction qu'il avoit attenduë; il adjousta qu'estant plus attaché qu'un autre à ses interests, il ne luy devoit rien cacher; et qu'il estoit obligé de luy dire que le secret qu'il croyoit n'estre sçeu de personne, estoit desja connu de quelques-uns des Cardinaux: et apres luy avoir dit toutes les circonstances des mesures qu'ils avoient prises en faveur du Cardinal Delmonté, il luy representa vivement qu'il estoit difficile de faire subsister long-temps des engagemens si contraires sans estre découverts, si l'éelection du Pape tiroit en longueur: que les Espagnols à qui on ne manqueroit pas de donner des advis pour les dés-unir d'avec luy, demeureroient extremément offensez; et que les Cardinaux Montalte, Medicis, et Farnese, ne le seroient pas moins, s'ils apprenoient qu'il se fust excusé auprés des Espagnols; qu'il n'avoit eu autre but que de tromper les autres, pour parvenir plus finement à leurs fins; que dans la necessité de sortir d'un si méchant pas, la meilleure voye estoit de songer à l'élection de Ludovise, enquoy il n'y avoit rien à hazarder; que par ce moyen, on ne pouvoit luy reprocher de manquer à ses paroles, et que les Espagnols ne luy avoient point donné d'exclusion; que s'il vouloit considerer sa personne, il estoit d'une complexion si delicate et si foible; qu'en le faisant Pape, on mettroit le Pontificat en depost pour quelque-temps; et il adjousta mesme pour le mieux persuader, que peut-estre il ne vivroit pas davantage que le pauvre d'Aquino qui alloit expirer.
Le Cardinal Borgheze demeura tellement esperdu de voir que l'on avoit penetré un secret si important, qu'il fut fort long-temps sans parler; et le Cardinal Capony voyant que ses discours avoient fait une si grande impression sur son esprit, crût qu'il falloit le presser davantage, et achever ce qu'il avoit si heureusement commencé; il continua à luy parler, et à luy faire comprendre qu'il n'y avoit plus de temps à perdre pour prendre une bonne resolution devant que ses desseins fussent publics.
Le Cardinal Borgheze ne resista pas aux conseils du Cardinal Capony, il ne fut plus capable de conduite, et s'abandonnant entierement à luy, il luy demanda ce qu' il y avoit donc à faire: il luy dit alors qu'il falloit sans balancer aller prendre le Cardinal Ludovisio par la main, et le mener dans la Chapelle Pauline pour le faire élire, afin que l'on crût qu'il avoit agy par son propre choix, sans y estre contraint; qu'ainsi le Pape luy auroit toute l'obligation, et qu'il conserveroit sa reputation dans l'opinion de tout le monde, et pourroit prendre de meilleures mesures pour une autre fois.
Le Cardinal Borgheze executa sans une plus grande deliberation ce que Capony luy avoit conseillé; mais avec tant d'embarras et de confusion, qu'il ne songea pas seuluement à faire advertir le Cardinal Campora de la resolution qu'il avoit prise, et le Pape estoit éleu il y avoit plus d'une heure qu'il n'en sçavoit rien, et qu'il attendoit encore une issuë favorable.
Le Cardinal Ludovisio fut nommé Gregoire quinziéme; et les Ambassadeurs l'estans aller saluer le lendemain, il témoigna a celuy de France, dont il prévint le compliment, qu'il sçavoit combien il avoit contribué au nom du Roy pour l'élever au Pontificat; qu'il reconnoissoit la part qu'il y avoit euë, et qu'il pouvoit asseurer sa Majesté qu'il n'en perdroit jamais le souvenir; à quoy l'Ambassadeur répondit, qu'il croyoit que sa Sainteté devoit son élevation à Dieu seul, qui l'avoit choisi pour le bien de toute l'Eglise; mais qu' à la verité, si les moyens humains avoient pû quelque chose en cette occasion, la brigue et les puissantes pratiques de la faction Espagnolle et du Cardinal Borgheze auroient prevalu.
The author of this document is evidently the Marquis de Coeuvres himself. His knowledge of the events inside the Conclave after he was made to leave are sketchy and obviously second-hand.
"Relation du Conclave, dans lequel on éleut le Cardinal Ludovisio, nommé depuis Gregoire quinziéme," in Les Memoires de la Régence de la Reyne Marie de Medicis (Paris: Chez Thomas Iolly, 1666), pp. 297-336. "Cette Lettre de l'Ambassadeur de France [the Marquis de Coeuvres] écrite au Roy incontinant apres l' élection de Gregoire XV., faisant connoistre combien ce choix estoit avantageux au service de sa Majesté, " Les Memoires de la Régence de la Reyne Marie de Medicis (Paris: chez Thomas Iolly, 1666), 337-350.
John Paul Adams, CSUN
john.p.adams@csun.edu