Guillaume Ribier (editor), Lettres et mémoires d' Estat des Roys, Princes, Ambassadeurs et autres Ministres , sous les Règnes de François premier, Henry II, et François II Tome second (Paris 1666), pp. 835-837:
Messieurs mes Freres,
Il faut que je vous confesse, que tant plus je sejourne en ce lieu, plus je trouve de differentes humeurs, de partialitez et moins d'asseurance aux paroles et promesses d'une bonne part de cette Compagnie. Car depuis que je vous ay dernierement écrit, nous n' avons pour quelques jours fait autre chose, que d'empescher les pratiques de Carpy, qui estoient conduites de la part de Farnése, Caraffe et d'une partie de celle des Espagnols, et en ce faisant attiré quelques uns à la nostre: pour, quand nous verrons l'opportunité, mettre en avant Monsieur le Cardinal de Tournon. Et avions si bien dressé son affaire, que de Farnése mesme et de S. Ange, Paccieco, la Cueve, Trente et d'Auguste et de beaucoup d'Italiens avec les nostres, nous avions promesse de vingt-huit voeux, et n'en restoit plus que trois, dont nous esperions bien encore venir a bout, si l'on ne nous eust point failly. Mais le vingt-deuxiéme de ce mois, quand ce vint au Scrutin, il ne s' en trouva seulement que quinze, et cinq accez de nostres. Tellement qu' à nostre grand regret, comme vous pouvez penser, nos fismes experience de la seureté que l'on peut avoit en la parole de quelques uns. Et voyans qu'en Monseigneur le Cardinal de Tournon il ne se pouvoit rien trouver ny objecter, sinon qu'il estoit François, estant au reste estimé d'un chacun le meilleur sujet et le plus digne de toute cette Compagnie, à qui chacun deust donner son voeu, nous aurions bien connu qu'il ne se falloit plus mettre en peine de proposer un autre François: et pa. ainsi nous nous serions Messieurs les Cardinaux de Ferrare, de Tournon et du Bellay resolus de regarder ce qui se pouroit faire pour Monsieur le Cardinal de Mantouë, estand demeurez deux ou trois jours sur cette deliberantion.
Cependant nous nous ferions accostez de Monsieur le Cardinal de Sainte Fior [Guido Ascanio Sforza di Santa Fiora]; et sans luy faire entendre ce que nous voulions bien estre fait, nous serions tombez en en propos de nous accorder de quelque bon personnage, qui fust agreable au Roy et au Roy d'Espagne, pour le favoriser chacun de ce qu'il pouroit a l'Election au Papat. Et ayant pris asseurance les uns des autres, et se faisant fort chacun respectivement des siens, il nous auroit presenté ce que nous mesme desirions. Et ayans convenu de Monsieur le Cardinal de Mantouë, nous aurions advisé que la voye du Scrutin estoit trop douteuse; et qu'il valloit mieux sur l'heure, sans autrement éventer, ny divulguer l'affaire, proceder par adoration; et à l'instant mesme, qui fust le vingt-cinquiéme apres disner, appeller et faire venir en la Chapelle ceux, lesquels on ne faisoit point de difficulté, qu'ils ne vinsent incontinent, qui eussent esté en nombre suffisant pour la creation du Pape. Et pour les induire et inciter plus facilement, Monsieur le Cardinal du Bellay y alla des premiers; mais il n'y eut celuy d'une part, ny d' autre qui ne fust grandement déceu. Car les Espagnols mesmes, et aucuns Italiens qui jamais n'avoient refusé en semblable cas, de faire ce que ledit Sieur Cardinal de Sainte Fior avoit voulu, et plusieurs des nostres ne nous voulurent pas suivre. Ce qu'ils eussent fait sans Farnése et Caraffe qui ont donné tout l'empeschement qu'ils on peu à nos desseins, et plus encore Caraffe que Farnése: car je n'ay jamais veu Bourguinon, Espagnol, ny ennemy de la Couronne de France plus contraire, ny qui monstrait plus de mauvaise affection au service et accomplissement du vouloir et intention du Roy, qu'il fait.
Mais il ne faut pas sçavoir moins de mauvais gré à Reomanus, qu'à ces deux: car comme nous estions fur le point d'assembler tous les nostres, j'allay parler a luy. Et pource que je le trouvay du commencement un peu retif à venir, et estimant qu'il pensait que je volusse favoriser et faire advantage de moy mesme audit Sieur Cardinal de Mantouë, je luy voulus bien monstrer l'article de mon Instruction qui faisoit mention de luy, afin qu'il connust de la volonté du Roy; mais pour cela, ny poour toutes les remonstrances que je luy aye sceu faire, ny Messieurs les Cardinaux du Bellay et d'Armagnac, et les autres semblablement, il n'a jamais esté possible de le reduire, ny faire changer d'opinion, qu'il ne voulust plustost faire pour Caraffe et tenit sa part, que celle du Roy: s'excusant sur l'obligation qu'il a à luy du Cardinalat, et de la promesse qu'il luy a faite. Et outre qu'il a failly autant griévement que vous pouvez bien connoistre, il est cause d'avoir retenu à la devotion de Caraffe plus opiniastrement qu'auparavant tous ceux de son costé, desquels il y avoit grande esperance, et déja en estions en termes de gaigner quelques uns qui aurioent maintenant trop de honte de se débandeer, puis qu'un François ne l'a voulu faire à l'exhortation que l'on luy a faite de par son Prince naturel et souverain, ny à la grande et instante priere de ses Ministres. Ce que nous defavorise encore davantage à l' endroit d'aucuns, qui esperoient de nous quelque faveur, nous ayans aydé de leurs voeux, et maintenant se refroidissent, voyans que les Nostres mesmes nous delaissent: toutesfois nous maintendrons le plus que nous pourons pour Monsieur le Cardinal de Mantouë, et ferons tout ce qui nous sera possible, pour le faire reüssir: sinon, pour empescher ceux qui nous sont contraires, de parvenir à leurs intentions. Mais je crains qu' avec le temps l'un ne soit pas possible, ny l'autre bien facile: car celuy-là est fort mal asseuré, qui se veut attendre aux paroles et promesses de beaucoup qui sont icy, lesquels n'ont nulle affection, qu'a leur particulier.
Jamais homme n' eust affaire avec plus indignes personnes de leur Estats, n'y à qui il fallut adjouster moins de foy, qu' à ceux-ci: car quand on les va visiter, ils vous prometrent ce qu'il est possible; et sont tant serviteurs du Roy, qui les voudroit croire, qu'il n'y a en France leurs pareils. Et pour vous dire en quel estat sont les choses, nous les Cardinaux de Ferrare, Trente, Sainte Fior, et moi de Guise, sommes obligez ensemble, leur costé et le nostre de n'aller en sujet du monde, jusques à ce que nous soyons de tout desesperez du fait du Cardinal de Montoue, et que quand ainsi seroit, nous resoudrions tous quatre ensemble à faire ce que nous connoistrions estre le meilleur pour nostre Maistre et le leur, en attendant aussi la réponse que nous pourons avoir de vous: pour le moins je vous puis asseurer qu'il ne se sera point de Pape, de qui nous n'ayons la meilleur part. Qu'il soit du tout comme le pouriez desirer, je ne vous le certifie pas, mais pour le moins celuy qui le sera, en aura la principale obligation à nostre Maistre. Car al plus part des nostres sont venus avec nous, mais ceux du Roy d'Espagne, et principalement les espagnols, nous ont abandonnez, et se sont mis avec Farnése et Caraffe; faisant à croire à ces puavres personnes de les faire Papes. Et pour vous monstrer comme ils entretiennent lesdits Cardinaux de Trente et Sainte Fior, ils ont depesché un courrier vers leur Roy, pour avoir un commandement à tous leurs Cardinaux de faire pour le Cardinal de Mantouë. Je vous ay bien voulu depescheer cettuy-cy, afin que si leur Roy leur mande de faire autre dessein, je sceusse ce que vous voudriez que je fisse.
17.{27!] Septembre.
©2011 John Paul Adams, CSUN
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