SEDE VACANTE 1774

(September 22, 1774—February 15, 1775)



Cardinal Bernis to the Comte de Vergennes
(October 19, 1774)

 

Alexis François Artaud de Montor,   Histoire des souverains pontifes romains  Volume VIII (Paris 1852),  pp. 24-33:

J'ai reçu, Monsieur, par le retour du courrier extraordinaire que j'avais dêpêché deux jours avant la mort du pape, la dêpêche du 3 de ce mois, no. 43.

Je ne doutais pas que le roi ne donnât des regrets sincères à un pape qui avait une prédilection particulière pour la France, sans ambition, sans prévention, et qui ne désirait que la paix de l'Église et la tranquillité et l'union des États catholiques.

Vous avez vu, par une lettre du 12, la situation où j'ai trouvé le conclave, et les précautions que j'avais prises, conjointement avec le ministre d'Espagne (Florida Blanca), avant d'y entrer et depuis mon entrée, dans l'intention de rompre le projet formé par un parti d'enthousiastes, de faire une élection brusquée, et d'affranchir de cette maniére le Saint-Siége (pour me servir de leurs termes) de l'esclavage des cours, et pour donner à l'Église un chef opposé aux maximes de Clement XIV.

J' avais cru, d'après les représentations faites au doyen des cardinaux [Giovanni Francesco Albani], au cardinal camerlingue, et à tous les membres du Sacré Collége qui ont quelque crédit au conclave, que les zélés comprendraient enfin qu'ils exposaient le pape futur à de grands embarras et à de grandes mortifications s'ils manquaient d'égards pour les couronnes au point de ne vouloir point attendre l'arrivée des cardinaux chargés de leurs ordres.  Je m'étais flatté d'avoir réussi à persuader cette vérité, lorsque, après avoir reçu les ordres du roi, consignés dans votre dépêche n° 43 et dans votre lettre particulière du 3 de ce mois, après les avoir communiqués au sacré collége, je vis immediatement s'accroître au scrutin les suffrages en faveur des cardinaux Colonna.  Cet accroissement par la désertion de quelques cardinaux de notre parti aurait pu facilement procurer, le lendemain, une élection précipitee, et bien dangereuse dans les circonstances.  Je compris alors que, ne pouvant pas combattre avec des forces égales un parti si fort, il fallait nécessairement éclairer le sacré collége par un mémoire que vous trouverez ci-joint, et lui faire craindre les suites que pourrait avoir une élection faite au mépris des représentations des trois monarques.

Ce mémoire, écrit à deux colonnes, en français et en italien, approuvé par le ministre d'Espagne, et signé par moi et par le cardinal Orsini, fut remis vendredi matin [Friday, October 14]  au doyen du sacré collége, enregistré à la secrétairerie du conclave, et communiqué aux chefs des factions, et en particulier au cardinal camerlingue, qui est à la tête du parti le plus nombreux, et qui a pour conseil le cardinal Castelli, homme singulier, qui n'agit que par inspirations, et qui croit avoir une communication directe avec le ciel.

Je crus qu'un mémoire ferait plus d'impression qu'une conversation, souvent mal rendue et altérée; et quoique cette forme fût nouvelle dans le conclave, elle me parut regulière, puisqu'elle est universellement en usage pour les affaires importanhtes dans toutes les cours,  Je réfléchis aussi que, comme le mémoire serait enregistré à la secrétairerie du sacré collége, ce serait un monument qui conserverait à jamais le droit infaillible qu'ont les  couronnes de demander, dnas tous les conclaves, d'attendre pour procéder à l'élection du pape que les cardinaux étrangers soient arrivés.

Je ne saurais vous peindre, monsieur, la fermentation que produisit pendant deux hours cedit mémoire; elle fut telle, que le ministre d'Espagne, auquel je rends compte de tout trois out quatre fois par jour, écrivit au cardinal Orsini un billet dont vous trouverez ci-joint la traduction, ainsi que la réponse que je fis au comte de Florite Blanche, qui me communiqua ce billet important.

Nous examinâmes même ensemble, mais sans rien résoudre, ce qu'il y aurait à faire si, malgré nos protestations, on nous donnait un pape désagréable à l'Espagne et à Naples, et dangereux pour le repos de l'Église dans les circonstances actuelles.

Heureusement ce que j'avais prévu en remettant le mémoire en question au doyen du sacré collége arriva; l'échauffement des têtes fit place à la réflexion; on se calma, et quoique mon mémoire ne fût qu'un avis salutaire et n'exigeât aucune réponse, le Cardinal Rezzonico, camerlingue du saint-siège, pria le cardinal André Corsini (dont la prudence et la probité sont connues) de me répondre, au nom de tout son parti, que l'on était résolu d'attendre le temps nécessaire à l'arrivé des cardinaux étrangers, et que dans cet intervalle on ne se permettrait aucun traité sur l'élection;  mais qu'à la vérité on ne pouvait pas répondre qu'une inspiration instantanée n'opérât la réunion de plusieurs suffrages.  Je répondis à cette ambassade, qu'il suffisait que les négociations humaines fussent interdites jusqu'à l'arrivée des cardinaux étrangers, parce que les inspirations divines ne pourraient jamais être à craindre.  J'ajoutai que je me réjouissais infiniment de ce que le cardinal Rezzonico avait fait adopter à son parti des sentiments si conformes à la justice et au bien de l'Église.

Ma réponse fut communiquée au doyen du sacré collége et au plus grand nombre des cardinaux. Si notre parti était un peu plus fort, nous n'aurions pas à craindre l'effet de ces prétendues inspirations; amis le ministre d'Espagne et quelques cardinaux de notre parti se défient encore beaucoup.  Ce langage mystique, selon eux, est un voile qui cache peut-être un projet de trahison.  Cependant il faudrait que le fanatisme devint général pour croire qu'après une déclaration aussi expresse que la nôtre, et après la promesse d'attendre les cardinaux étrangers, on osât brusquer l'élection.

Il est vrai que l'on ne peut rien calculer avec des têtes échauffees par un faux zèle, par la haine et par la vengeance.

Jusqu'à l'arrivée des instructions particulières concertées avec la cour d'Espagne, je ferai tous mes efforts pour suspendre l'activité du parti des zélés, et je ne cesserai de me concerter avec le ministre de Sa Majesté Catholique, qui dirige la conduite du cardinal Orsini.

Voilà, ce me semble, à quoi se réduisent les instructions que le roi m'a données par votre depêche et votre lettre particulière du 3 de ce mois.  Vous avez vu même que j'avais pleinement rempli les idées de Sa Majesté avant qu'elles me fussent formellement indiquées.

Le journal du conclave, que je joindrai à chacune de mes dépêches, vous fera suivre pas à pas la marche du conclave, lequel est bien plus difficile et plus orageux que celui de 1769.

Le doyen des cardinaux, à qui nous voulons faire jouer le rôle de médiateur, est malade, peut-être par le risque qu'il court de ne satisfaire aucun des partis:  il ne dépendait que de lui jouer un rôle plus sûr et plus honorable, en se mettant sous la protection des couronnes, sous celle du bon sens et des vrais intérêts du saint-siége.  Mais les Italiens agissent toujours par des moyens obliques.  Cependant jusqu'ici nous n'avons pas à nous plaindre de Jean-François Albani, ni de son vieux oncle [Cardinal Alessando Albani (aged 81)].  Bien des gens prétendent qu'ils veulent faire élire le cardinal Fantuzzi, préfet de l'université, que nous rejetâmes au dernier conclave, et dont l'exclusion n'a pas été levée.

Le grand point est d'avoir assez de voix pour empêcher toute élection furtive.  Les cardinaux de notre parti tardent beaucoup à se rendre au conclave, et ceux du parti contraire ou sont déjà arrivés, ou sont en marche.  Notre position est dangereuse jusqu'à ce que nos auxiliaires soient arrivés.  Nous attendons le cardinal de Luynes avec impatience. Il est bien nécessaire que la cour de Vienne charge de son secret un homme sage et un honnête homme, qui se concerte avec nous, au moins dans la vue d'éviter un pape enthousiaste, qui ne règlerait sa conduite que par des inspirations.  Il y a à trembler pour le repos du monde catholique si nous n'avons pas un pasteur sage et modéré dans les circonstances. Je sais bien que les grandes cours sauront toujours en imposer à celle de Rome; mais il faut compter pour beaucoup les suites que peuvent causer la trop grande fermentation des esprits et le fanatisme.

Au reste, vous verrez, Monsieur, dans une feuille séparée que je joins ici, les voix que nous croyons assurées, celles qui sont douteuses, et le nombre des suffrages relatifs au nombre des cardinaux qui sont présents au conclave, ou qui s'y rendront bientôt, et le nombre de voix qui doit suffire pour empêcher l'élection.  Selon cette table, nous n'avons pas à craindre pour le moment, ni poour l'avenir, qu'on nous force la main, si tous nos amis nous restent fidèles.  Mais il se passe dans les conclaves des révolutions singulières; ce qui empêche de se livrer à une vraie sécurité.  Vous verrez cependant que jusqu'ici nous avons fait et obtenu tout ce qui était possible.  D'ailleurs, nous menaçons pour ne pas être obligés de frapper.

Le cardinal des Lances, arrivé depuis peu de Turin, vient d'accroître le nombre des zélés.  Un mot de la cour de Turin pourrait le ranger de notre parti.  Les trois cardinaux vénitiens sont absolument du parti contraire.  Les Albani ne voudraient rien perdre ni d'un côté ni de l'autre.  Jusqu'ici, comme je l'ai déjà dit, nous ne pouvons que nous en louer; mais nous devons toujours être en garde avec eux.  Peut-être que nous les forcerons enfin à se décider plus efficacement et plus rondement.  Telle est, en général, la situation actuelle du conclave.

On ne peut rien ajouter, Monsieur, aux sentiments avec lesquels,  etc.

Le Cardinal de Bernis.

 


Despite de Bernis' obvious hints, three French cardinals did not attend the Conclave:  Rochechouart (aged 66), Rohan-Guéménée (aged 77), and de La Roche-Aymon (aged 78).



 


March 18, 2014 8:49 AM

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