SEDE VACANTE 1799-1800

(August 29,1799 — March 14, 1800)


 

Charles Antoine Ricard (editor), Correspondence diplomatique et mémoires inédits du Cardinal Maury (1792-1817) (Lille 1891) I, 351-360:

 

Cardinal Maury to King Louis XVIII

(March 8, 1800)

 

Sire,

Je continue de mettre fidèlement sous les yeux de Votre Majesté le journal peut-être beaucoup trop détaillé de notre conclave qui semble tendre à sa fin, moins par la réunion des volontés, pour conclure l'élection, que par l’impatience générale de sortir de captivité.

Le scrutin ne varie point au milieu de tant d’efforts pour en changer la direction. C'est un escalier dont il faut monter vingt—quatre marches pour arriver au terme. On en franchit aisément dix-huit ou vingt; mais, quand on est là, il faut s’arrêter, et recommencer deux fois par jour l’expérience, sans pouvoir s'élever plus haut.

Le cardinal Antonelli a tenté d'explorer en personne les électeurs pour les rendre favorables à Valenti. Quelques membres de la majorité lui ont observé,qu’ils étaient étonnés de lui voir usurper ce ministère de confiance, pour proposer successivement Valenti et Mattei, dont il avait dit d’abord tant de mal, et avec des raisons si plausibles qu'on n'a point oubliées. D'autres lui' ont répondu sèchement, qu'ils avaient confié leurs intentions au cardinal Braschi, et se sont renfermés dans cette déclaration noble et ferme, qui ne pouvait blesser personne.

Découragé par ce refus imposant de seconder ses vues, ila paru pénétré de l’impossibilité de les faire adopter. Nous avons cru que cette seconde bataille perdue en faveur de`Valenti dégoûterait son parti, et que la crainte d'une défection parmi les siens le rendrait plus accommodant. Pour sonder ses véritables dispositions, on a jeté en l’air devant lui quelques paroles conciliatoires, qu'il a eu l'apparence de saisir avidement. Le cardinal-doyen a profité habilement de l'occasion pour honorer, pour acquitter son parti envers Gerdil, ou pour le gagner, en le proposant à Antonelli. Celui-ci s'est montré infiniment satisfait de cet expédient. Les deux partis ont été immédiatement consultés. Tout le monde s'est déclaré sur-le-champ pour Gerdil. On a chargé Antonelli d'en porter la parole à Herzan. Ce tête-à—tête a duré deux heures, durant lesquelles Gerdil a été pape, mais, au sortir de la conférence, l'innocent médiateur nous a déclaré, ce qu'il savait déjà comme nous, qu'une exclusion formelle de l'empereur ' opposait un obstacle insurmontable à cette élection. Ce n’est pas peu de chose assurément, que d'avoir ainsi fait articuler la proscription formelle d`un
sujet du roi de Sardaigne. Il n`est pas difficile d'en déduire les conséquences relativement au sort qu'on veut préparer à l’Italie.

Les manœuvres ont continué en faveur de Valenti, durant cette négociation, qu'on aurait pu prendre pour une trêve.

Le cardinal Antonelli, qui se Hattait de suivre dans les ténèbres d'un armistice apparent cette intrigue, dont on paraissait favoriser les progrès par des vacillations feintes,pour en mieux découvrir la marche et les espérances, a tenté de nous persuader qu’il ne savait plus où donner de la tête. Il a pris le ton du zèle, du désistement et de la capitulation. Il a dit que nous devions tous nous jeter dans les bras du cardinal-doyen, lui ouvrir individuellement notre cœur, et nous en rapporter à lui pour élire indistinctement le sujet qui réunirait le plus grand nombre de suffrages.

Tandis que ce projet de confession éblouissait beaucoup de gens crédules,il a été avéré,en un quart-d’heure, que, si cette tentative était mise en œuvre, ce serait Valenti qui aurait le plus de voix, et que ces messieurs ne venaient à nous que pour nous attirer vers eux. On s’est donc refusé froidement à se jeter dans la mêlée, et on s'est préservé de cette ruse qui avait été imaginée pour favoriser la guerre que fait Antonelli aux cardinaux Albani et Braschi.

Ce n'est pas, à beaucoup près, le seul qui se déclare contre le feu pape. Dugnani, Vincenti, Carandini, Archetti, Giovannetti, Flangini sont ses lieutenants. On distingue surtout avec douleur parmi eux le cardinal Ruffo, qui veut être Camerlingue à Rome, parce qu'il sait qu'il est trop bien connu à Naples, pour y jouer jamais un grand rôle. Cet homme, né avec de l’esprit et un caractère sauvagement brutal, n’a jamais su ni dominer, ni cacher aucune de ses pensées. Il a une mémoire heureuse, peu d'idées, et ses connaissan ces se bornent à quelques livres des économistes, qu'il croit avoir seul lus.Il a voulu nous persuader d’abord, qu'il avait le secret de sa Cour, quoiqu'il ait été démenti par le refus de tous les cardinaux de sa nation de s’unir à lui. Il nous déclara, au commencement du conclave, que son maître ne restituerait jamais l'État de l’Église, si nous élisions une créature, et bien moins encore un sujet de l'empereur. Nous l’avons vu ensuite cabaler et voter pour Mattei et pour Valenti, et il ne se doute pas que ces contradictions soient observées, parce qu'on ne lui en dit rien; s’il gagne des partisans, ce ne sera ni par estime, ni par amitié qu'on pourra s’allier à ses inconséquences. Il a eu le bonheur d`entrer à la tête de ses insurgents dans le royaume de Naples, au moment où les Français battus au nord de l'Italie se retiraient sur la Lombardie, et il se flatte de les avoir défaits quoiqu'il n’ait jamais brûlé une amorce contre eux, ni donné une bataille, ni fait un siège. Enfin ses prétentions aux talents et aux exploits militaires lui font oublier et dédaigner sa véritable gloire qui consisteà avoir entrepris sans moyens une contre-révolution, laquelle s'est ensuite opérée d`elle-même.

Il faut avouer que le cardinal Braschi, contre qui cette conjuration est formée, montre plus de bon sens, plus de dignité, plus de modération et plus de désintéressement dans sa conduite. C’est une justice que tout le monde lui doit et lui rend. jamais neveu de pape n'avait été moins dominant et plus raisonnable dans un conclave. Son inséparable union avec le Doyen l'honore infiniment, et à la longue elle doit le faire triompher.

On travaille donc encore dans ce moment sous terre et très fortement en faveur de Valenti. Si nous ne nous effrayons pas, et surtout si nous ne nous pressons pas de finir, comme je l’espère et le crois, cette confédération des Allemands, des Espagnols et de plusieurs Italiens, s'évanouira en fumée. Quelque hardi qu'il soit de conserver une espérance et une opinion au milieu de tant de gens las et assoupis, mon avis est que Valenti ne sera jamais pape, quoiqu’on nous dise bonnement, pour nous rassurer, qu'il n'accepterait point la papauté, tout en faisant les plus grands efforts
pour la lui procurer. Il y a pourtant quelque témérité, j'en conviens, à prendre un ton si afürmatif, avec des collègues qui ont la bonté de croire que nous n’élirons jamais un pape, si nous ne prenons pas celui·là. Ces sortes de phrases, qui ne signifient rien, deviennent des arguments insolubles, quand on ne sait pas les rendre en les rétorquant.

Au milieu de ces perplexités, nous ne voudrions pas élire ce sauvage vertueux de Calcagnini, quoiqu’il soit de notre parti. Mais il réunit le plus de voix, il est le moins en butte à l’opposition de nos adversaires, il paraît enfin le plus éligible dans ce moment. Nous réduirions nos propres collègues au désespoir, et nous excuserions à leurs yeux leur désertion, si nous avions l'air de ne songer à personne. Il faut donc en passer par là, le présenter au parti contraire et l'élire par nécessité, si l’on veut se réunir à nous. Voilà où nous en sommes. C'est à contre-cœur que nous nous y prêtons. On le dit inappliqué et ennemi du travail: ce qui est un péché très capital pour un pape, dans tous les temps, mais spécialement dans ces circonstances. On convient de tout ce qui lui manque. Mais comment faire mieux? Comment en élire un autre? Il n’y a point de réponses à ces questions. Nous céderons donc à la nécessité. Cet homme vaut mieux que tous les sujets de la minorité qui arrête tout; de sorte que, si elle veut l'accepter, nous serons d'accord dans un jour, et nous sortirons du conclave, sinon avec gloire, du moins avec honneur, en nous donnant un pape de notre parti.

Antonelli se montre individuellement porté à concourir à cette élection; mais on ne peut faire aucun fond sur ses paroles, tant qu’il ne parlera pas en nom collectif je ne sais comment il s'y prend pour se faire suivre par ses soldats, après avoir perdu deux batailles, tandis que nous avons tant de peine à tenir les nôtres à leur poste, après avoir remporté presque deux victoires. La majorité a toujours l'inconvénient d'être fournie de gens honnêtes qui n'ont ni l`énergie, ni la constance des factions ; et il en résulte que, le plus souvent dans les délibérations, la minorité fait la loi.

J' apprends dans le moment que la division règne dans le camp ennemi. Herzan reproche à Antonelli de l'av0ir compromis avec mauvaise foi, en lui proposant Mattei. Les partisans de Valenti se plaignent du tort qu’il lui tit dans l’origine par ses détractions, et du mal beaucoup plus grand qu’il a fait en l'alliant à son parti, au lieu de lui conseiller de s’unir à la majorité qui eût pu être dupe de son apparente coalition. ll paraît que dans ce moment son influence et sa domination sont affaiblies dans son propre parti. Au milieu de ce vacarme, on vient de recevoir de Madrid un courrier extraordinaire qui cause une très grande agitation, dont nous ignorons l’objet. Les uns croient y voir un faible rayon d’espérance en faveur de Bellisomi. Les autres craignent une exclusion formelle de Calcagnini.

En attendant que ces nuages s’éclaircissent, Antonelli se jette avec une grande apparence de sincérité, pour la seconde fois, entre les bras d’Albani et de Braschi. Il demande une nouvelle exploration des voix par écrit, et il promet que, si Calcagnini réunit plus de suffrages que Valenti, il se détachera de son parti avec un peloton suffisant pour lui procurer l'inclusive. Dans tout autre pays, l'élection de Calcagnini serait assurée dans le courant de la semaine prochaine; mais avec des Italiens on ne peut la regarder encore que comme vraisemblable, et elle ne s’effectuera réel-
lement que dans le cas très incertain, où Antonelli agira de bonne foi, par le désespoir de recouvrer son ascendant dans son parti.

Quant à nous, Sire, nous nous y prêtons pour finir et par crainte de finir plus mal. Nul de nous ne l’aurait voulu élire, et nul de nous ne lui refusera sa voix. je suis sans comparaison celui de tous qui éprouve la plus grande perplexité. je n’ai jamais causé à fond avec lui sur une petite affaire qui concerne un paroissien de M. Pancemont. Cette confidence me semblait très inutile. Depuis que j’en ai découvert la nécessité, j'ai craint les rebuffades du scrupule et d’un caractère aussi roide qu’original. Le doyen me rassure et me conseille le silence. je vais tenter un moyen terme, en proposant au cardinal Honorati, excellent homme, ami du personnage en question, et grand amateur de la langue latine, de composer d'avance pour lui une lettre latine, dont le sujet est très beau, afin qu’il la signe sans délibération, au moment où il sera nécessaire de la faire partir. Je serais inexorable, dûssè-je être seul de mon avis, si je ne le croyais très décidé à sanctionner ce qu’ont fait ses collègues actuels: le Doyen me dit d'être tranquille, et je le suis, quoique l’ltalie ne doive jamais être le pays de la confiance.

J' écris à Votre Majesté au milieu de cette effervescence qui précède et annonce le dénouement d’un conclave. A chaque instant, les probabilités de l’élection du cardinal Calcagnini deviennent plus fortes. Le parti contraire pâlit et perd la tête, comme un joueur qui voit son jeu et ui se sent au moment de perdre la partie. Antonelli nous donne une preuve non équivoque de sa sincérité, en se cachant du cardinal Herzan dans ses relations avec nous. Le cardinal Lorenzana vient de déclarer au Doyen que, si Valenti ne peut gagner des voix, il consent à se rallier à la majorité en faveur de Calcagnini. Ce mouvement accéléré me fait présager, que la semaine prochaine sera le terme de notre réunion. Il est donc vraisemblable, que ma première lettre pourra précéder à Mittau celle que j’écris dans ce moment. Dieu le veuille!

On se croit assuré que Calcagnini acceptera. Il est né à Ferrare en 1725; il y a un frère octogénaire, aveugle, veuf et sans enfants. Un autre de ses frères, qui n'a jamais été marié, a soixante-onze ans, et estcapitaine des gardes du duc de Parme. Sa principale carrière dans la prélature a été la nonciature de Naples. On ne lui a jamais connu d'autre passion que celle de la chasse, durant les vacances de l’automne. Il a toujours passé pour minutieux, udicieux, un peu ennuyeux, ferme et grand ecclésiastique.

Après l'élection, Sire, je serai obligé de séjourner encore six semaines à Venise, pour y assister selon l’usage au couronnement du pape, aux audiences individuelles du Sacré-Collège et aux deux premiers consistoires. Durant cet intervalle, je serai exact à tenir toutes les semaines Votre Majesté au courant des événements. Le défaut de matière rendra ensuite ma correspondance sans intérêt et sans objet. je respecte trop les occupations importantes de Votre Majesté pour devoir l’importuner par des lettres inutiles, quand je serai confiné dans mon diocèse. Mais, lorsqu'elle aura la bonté de m' honorer de ses ordres à Rome, dont je suis très voisin à Monteiîascone, je la supplie de me les adresser sous le pli de MM Testori et Marsand banquiers à Venice, qui seront exacts à me les faire parvenir.  Je me rendrai àRome dans une demi-journée, toutes les fois que le service de Votre Majesté m’y appellera. En mettant à ses pieds l’hommage de mon entier et fidèle dévouement, je ne crois pas avoir besoin de lui dire que ses ordres seront toujours pour moi des bienfaits.

ll est apparent que le nouveau pape attendra la récolte pour retourner à Rome, où il ne trouverait avant cette époque ni blé ni argent. Les embarras et la responsabilité seront presque les mêmes, s’il y envoie un Légat pour gouverner l'État jusqu’à. son arrivée. C'est une question difficile à résoudre.

Le roi d'Angleterre ayant été informé de la détresse du cardinal d’York lui a fait compter deux mille guinées, et lui a fait écrire par son ministre à Vienne, qu'à l'avenir une pareille somme serait à sa disposition, tous les six mois, chez son banquier, à Venise. Le cardinal se réjouit de ce traitement qui ne pouvait être ni offert, ni accepté avec plus de noblesse.

Je suis, etc

 

 


 

BIBLIOGRAPHY

The Conclave of 1800 is discussed by Chevalier François Artaud de Montor, Histoire du Pape Pie VII second edition (Paris 1837) I, pp 80-107 [He was an ultra-monarchist and an ultra-Ultramontane]. Cf. Comte Boulay de la Meurthe, "Mémoire d' Artaud sur le conclave de Venise," Revue d' histoire diplomatique 8 (1894) 427-448.  Also consult: Alberto Lumbroso, Ricordi e documenti sul Conclave di Venezia (1800) (Roma: Fratelli Bocca 1903)   Eugenio Cipolletta, Memorie politiche sui conclavi da Pio VII a Pio IX (Milano 1863) [with documents, especially from Lord Acton and Naples];   Giovanni Berthelet, Conclavi, Pontefici e Cardinali nel secolo XIX (Torino 1903);   Gaetano Moroni, Dizionario di erudizione storico-ecclesiastica Vol. 53 (Venezia 1851), s.v. 'Pio VII', pp. 116-118. Gaetano Giucci, Delle vite dei sommi pontefice Pio VII, Leone XII, Pio VIII, Gregorio XVI, per servire di continuazione a quelle di Giuseppe Novaes Volume I (Roma 1857) 39-48 [fulsome in praise of Pius VII].   Pierre Vachoux, Extraits inedits de la correspondance & des manuscrits du Cardinal Gerdil (Annecy 1867), Chapter II, pp. 39-56.   Analecta Iuris Pontificii. Dissertations sur divers sujets de droit canonique, liturgie et théologie Troisième série, II. 1 (Rome 1858) 1107-1199. [Documents relating to Cardinal Gerdil].   Charles van Duerm, SJ, Un peu plus de lumiere sur le Conclave de Venise et sur les commencements du Pontificat de Pie VII. 1799-1800 (Louvain: Ch. Peeters 1896)   Giovanni Berthelet, Conclavi, Pontefice e Cardinali nel Secolo XIX (Torino-Roma 1903). Fredrik Nielsen, The History of the Papacy in the Nineteenth Century (tr. A.J. Mason) Volume I (London: Murray 1906) pp. 191-218.   R. Obechea, El Cardinel Lorenzana en el conclave de Venezia (1975). The alleged exclusion of Cardinal Gerdil by the pronouncement of Cardinal Herzan is discussed by Ludwig Wahrmund, Das Ausschliessungs-recht (jus exclusivae) der katholischen Staaten Österreich, Frankreich und Spanien bei den Papstwahlen (Wien 1888) 230-231. Giovanni Piantoni, Vita del Cardinale Giacinto Sigismondo Gerdil e analisi di tutte le stampate sue opere (Roma: Salviucci 1851). X. Barbier de Montault, Oeuvres complètes   Tome troisième: Rome III, Le pape (Paris 1890), pp. 185-189 [the exclusiva: two kinds, defined and illustrated]

 





link to documents on  papal  election-1199-1800




May 22, 2014 11:19 AM

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