Auguste Carayon (editor), Documents inédits concernant la Compagnie de Jésus XVII (Poitiers 1869), LXVI., p. 186-188:
Rome, le 16 mai (soir).
J'étais si pressé lorsque j'ai eu l'honneur d'écrire à votre Excellence, avant et après-dîner dans le même billet, que je crains de m'être mal exprimé, et que vous n'ayez cru que je me plaignais de votre réserve, tandisque je n'avais à me plaindre que de celle des Espagnols. Ils ont négocié avec Ganganelli; il n' était pas nécessaire qu'ils nous disent le fond de cette négociation; mais ils auraient dû nous dire seulement qu'ils étaient sûrs des sentiments de ce cardinal. Ce mystère nous a mis dans le cas de soupçonner Ganganelli de s'être livrés aux Albani et aux Jésuites.
Alexandre et François ont dit si haut qu'ils étaient pour Ganganelli, nous avons remarqué des pourparlers de ce cardinal avec Castelli [Milanese Imperialist]: tout cela formait la preuve la plus complete du jésuitisme de Ganganelli. Nos amis et surtout les Corsini en étaient effrayés, et je vous avoue que je croyais trahir le roi en secondant son élection; d'autant plus, que dans la liste des bons, il n'était que le 6e; voyez quel danger ce mystère faisait courir à la négociation des Espagnols. Il faut qu'ils se solent assurés des Albani que je voyais depuis longtemps liés avec eux, par le moyen du conclaviste du cardinal de Solis, Ignace d'Aguire, le cardinal Orsini et moi avions frequemment averti Solis de la correspondance de cet homme avec les Albani. Nous craignions qu'il ne le trahit, et nous étions de bonnes dupes. Ce matin, le cardinal de Solis, à qui j'ai montré mon étonnement sur la liason des Albani avec Ganganelli, m'a dit qu'il fallait, dès la premier scrutin, aller pour lui, je lui ai fait sentir que ce sujet me paraissait suspect par ses liaisons, et que je croyais qu'il fallait le voir venir, et nous assurer de lui, en ne lui donnant nos voix qu' à propos. Il a pris mes réflexions pour un refus: alors le bandeau s'est levé, et j'ai rapproché les aliées nocturnes de son secrétaire chez Ganganelli. Les pistoles d' Espagne m'ont paru un bon moyen pour avoir gagné les Albani, sans lesquels toute election est impossible. J'ai donc déclaré aux Espagnols, après leur avoir fait apercevoir légèrement que je voyais tout, que nous les suivrions dans la forme qu'ils désiraient, que tous nos soupçons étaient dissipés dès qu'ils étaient assurés de Ganganelli et des négociateurs Albani. Solis est convenu qu'il avait espérance que Ganganelli ferait Pallavicini secrétaire d'État, etc. etc. Tout cela a été convenu, et j'ai ajouté qu'il fallait nous avertir à l' avenir pour que nos idées, notre langage et nos démarches fussent uniformes. Voila, M. l'ambassadeur, tous les mystères éclaircis. Il n'est pas croyable, mais il serait possible que vous n'en fussiez pas instruit. La difference de nos opinions sur la promesse à exiger a pu nous rendre suspects; mais ce serait a tort. Nous avons toujours dit que notre sentiment ne devait pas régler celui des autres. Nous sommes bien aises de n'avoir rien su des moyens; mais il était nécessaire de nous instruire de la négociation en général, pour régler notre conduite. Peut-être sortirons-nous bientôt du conclave....
Reste à savoir actuallement si les Albani ne tromperont pas les Espagnols, et si Ganganelli sera fidèle après le pontificat.
© 2014 John Paul Adams, CSUN
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