Sire,
Je receus le quinziéme de ce mois la dépesche de Vostre Maiesté du trente-uniéme du passé, la mort du Pape et la creation de celuy-ci ayant changé la face des affaires, m'empesche aussi de pouvior satisfaire aux points principaux de ladite dépesche. J' avois commencé une Relation de tout ce qui s'est passée au Conclave dernier; mais les continuelles visites que j'ay à faire, outre celles que j'ay à recevoir, et d'autres fonctions ou il a fallu que j'aye assisté, ne me permettent pas de la pouvoir envoyer à V. M. Je luy diray seulement, comme elle aura veu par effet, que je ne me suis point mesconté quand je luy ai representé le credit et l'authorité qu'elle auroit en cette Cour toutes les fois qu'elle s'y voudroit employer; elle le pourra reconnoistre par la gloire qu'elle a eue en cette derniere occasion, où l'ombre seulle de son nom a pû esxclure un sujet favorisé de puissance en apparence si forte, que celuy qui a esté porté à cette dignité, avouë, comme un chacun le reconnoist icy, tenir le Pontificat de ces Offices, et de ceux qui ce sont joints à elle pour les faire reüssir; et suivant cela, à la premiere Audiance particuliere que j'ay euë du Pape, sa Sainteté me dist, sans me donner loisir de luy parler; je sçay combien vous avez contribué au nom du Roy pour me mettre au lieu où vous me voyez, et reconnoist la part que vous y avez euë; vous pouvez asseurer S. M. que je n'en perdray jamais le souvenir. A quoy je luy repondis que sa Sainteté devoit tenir son assomption de Dieu seul, qui l'avoit choisi poour le bien de la Chrestiente et du S. Siege, et que si les moyens humains eussent pu quelque chose en cette action, la brigue et les menées puissantes de la faction des Espagnols et de Borgheze devoient prévaloir; mais que Dieu avoit voulu en cela exaucer les voeux et les souhaits de S. M. et de tous les gens de bien. Il me repliqua, qu' à la verité il sçavoit bien que Dieu en estoit la premiere cause; mais que nul ne sçavoit mieux que luy, qui en estoit temoin occulaire, de la sorte que je m'y estois comporté, pour faire reussir les choses à son avantage, suivant les bonnes intentions de V. M. en son endroit.
En suite, par l'avis de Messieurs les Cardinaux et Prelats d'icy, je luy dis que la premiere grace que j'avois à luy demander de la part de V. M. estoit de vouloir faire Monseigneur Ludovisio Cardinal, afin que l'on pust avoir une personne confidente de sa Sainteté avec qui l'on pust traicter de toutes les affaires. Il me remercia du soin que V. M. prenoit de sa maison: c'est un compliment que l'on a accoustumé de faire en pareille occasion. Je le remerciay apres au nom de V. M. du Canonicat de Saint Pierre qu'il avoit donné au Neveu de Monsieur le Cardinal de Bonsy, en ayant usé tres-dignement; car de deux qui vacquoient, il en donna l'un qui estoit chargé de trois cens escus de pension à l'un de ses parens, et celuy-cy qui estoit sans charge, il en gratifia ledit sieur Cardinal; je luy parlay aussi en faveur de Monseigneur Torelly, auquel il a donné parole de le poourvoir d'un bon Gouvernement. Le Seigneur Francesco Sequini, qui a tousjours courtisé les Ambassadeurs de V. M. et moy aussi depuis que je suis icy, me pria de demander au Pape, que de Camerier d'honneur qu'il estoit, il pust estre Camerier secret; ce que sa Sainteté m'accorda, d'autant plus volontiers que ledit Sieur Sequini et Domenico son frere aisné, estoent fort bien avec le Cardinal Ludovisio avant sa bonne fortune, le dernier ayant esté retenu auprés de luy pour son Auditeur: ce sont toutes demonstrations qui éclattent icy en l'honneur de V. M. et en faveur des personnes, de qui comme je croy, l'on pourra tousjours tirer du service, et de bons advis.
Messieurs de Bethune et de Modene, qui ont traité trois ou quatre mois avec le Pape, pourroient mieux que moy represneter son naturel a V. M. mais en trente-cinq ans qu'il a esté en cette Cour en diverses Charges, il ne s'est pas trouvé que personne se soit jamais plaint de luy, il a tousjours passé pour homme de grande douceur, l'on avoit quelque opinion qu'il pourroit possible estre moins liberal qu'il ne fait connoistre a ce commencement, ayant fait beaucoup de graces, et ayant remply toutes les Charges ou il a pourveu jusques a cette heure de Prelats de cette Cour, les plus celebres en merites et en qualité, et cory que s'il continue, comme l'on espere, qu'il tiendra son Pontificat en tout autre lustre et splendeur que n'a pas fait son predecesseur. Il a voulu que tous ses domestiques fussent festus de soye, au lieu que durant le precedent Pontificat ils ne l'estoient que de laine. Son Neveu est aage environ de vingt cinq ans, il est homme de belles Lettres, et estoit en fort bonne reputation icy pour estre exempt de vices, et n'est pas tenu aussi pour avaricieux, il a plus de credit auprés de son Oncle que de long-temps Neveu de Pape ait eu. Lundy dernier, il fut fait Cardinal, et aujourd'huy [February 18] il a pris le Chapeau en Consistoire public avec Monseigneur le Cardinal de Savoye qui arriva avant hier, et lequel est logé au Palais; à quoy je me suis employé, en sorte que nous luy avons fait obtenir ce qu'il desiroit en cela, dont il s'est senty obligé. L'Ambassadeur d'Espagne le devoit voir cette apresdisnée, en ayant fait jusques-là difficulté, sur ce qu'il vouloit l'obliger à luy rendre la visite premier qu' a moy, il témoigne que si V. M. luy envoye le brevet de la protection qu'il attend avec beaucoup de devotion et de volonté en cette Charge, il y rendra tres humble service à V. M.
Je l'entretiens en l'esperance, que sur le premier avis que V. M. aura de son acheminement icy, qu'elle y aura pourveu, et qu' au premier jour il le recevra; ainsi en escript-il en Piedmont, afin que les menées et pratiques du Prince Phillebert ne puissent point préjudicier à cette resolution: il espere aussi que V. M. sur les pensions qu' elle luy donne à ce commencement, ou il a besoin de faire une grande despence pour mettre sa maison sur pied, elle y aura égard, et la voudra assister de moyens pour comparoistre icy avec le lustre et la splendeur qu'il convient pour la Nonciature de France. J'avois essaye à ce commencement que les choses se font plus facilement d'obtenir cette Charge pour personne qui fust la plus confidente de V. M. que faire ce pouroit, et m'y estois avancé d'autant plus aisément que le Neveu du Pape m'avoit promis de ne faire cela sans moy: je luy avois nommé Monseigneur de Bagnes [Giovanni Francesco Guidi de Bagno], Vice-Legat d'Avignon (1614-1621), et duquel mesme j'avois eu charge de parler en l'autre Pontificat de Monseigneur Ruccelay, et de l' Abbé Frangipani; mais il m'a voulu faire connoistre qu'avant qu'il en eust pû parler au Pape, il s'estoit engagé pour Monseigneur Coursiny, Clerc de Chambre, et Prelat riche pour supporter la despence de cette Charge, duquel mesme j'avois escrit a V. M. ainsi qu'il avoit desiré pour le recommander; mais cette fois il m'est venu trouver, plûtot pour me dire que la chose estoit faite, que non pas pour y rechercher l'assistance et la recommandation de V. M. s'estans servy du Cardinal de Medicis pour m'en parler, ayant mesme fait venir icy ledit Cardinal pour m'en prier, et de faire que V. M. le trouvast bon, à quoy j'ay trouvé un peu à redire, ainsi que doucement je l'ay fait sentir au Cardinal Ludovisio; et que je ne m'entremettois point à nommer des Nonces pour aller en France; joint qu'en l'estat où Monsieur le grand Duc est avec V. M. cela ne requeroit pas d'avoir un Nonce si confident de cette maison-là, et me souvient que feu Monsieur de Villeroy disoit tousjours, que s'il estoit possible, il ne falloit point avoir de Nonce Florentin ny Venitien, pour ce que l'on estoit assez, empesché de leurs Ambassadeurs, sans avoir encore d'autres Ministres particuliers de ses Princes-là. Je voy ledit Cardinal Ludovisio beaucoup arresté à favoriser ce Prelat; j'en ay retardé la declaration jusques à la venuë de Monsieur le Cardinal de Savoye, disant que s'il venoit comme Protecteur, je serois bien aise de luy en conferer à cette heure: je tasche à remettre l'affaire à V. M. afin que si elle ne l'avoit agreable, nous ayons temps de pouvoir negocier, et aussi si V. M. veut condescendre à leur priere et à leur desir, ledit Sieur Coursini en ait toute l'obligation à V. M. et qu'il connoisse que c'eust esté son plus court de prendre cette voye-là dés le commencement: hors de ce scrupule que j'ay eu, il est personnage que je croy qui s'acquittera dignement de cette Charge. Si d'avanture ils me pressent trop, je croy que V. M. trouvera bon qu' à ce commencement je ne me heurte pas contre-eux: Le Cardinal Borgheze a remis la Legation d'Avignon entre les mains du Pape, lequel je pense en fera pourvoir au premier jour le Cardinal Ludovisio, qui m'a dit que sa Sainteté vouloit envoyer Monsieur du Noset, Vice-Legat audit Avignon (1621-1623); mais il ne la pas voulu accepter que sous le bon plaisir de V. M. J'estime bien que comme son tres-humble serviteur, et comme Français, cette demonstration ne peut-estre que tres-agreable à V. M. y ayant long-temps que cette Charge n'avoit esté entre les mains de ses sujets; ledit Sieur du Noset d'ailleurs dés qu'il estoit Auditeur de Rotte, avoit amitié tres-particuliere avec le Pape, qui est cause, outre qu'il a pensé faire chose qui plairoit à V. M. de luy faire cette gratification, et que c'est luy qui a entretenu durant ce Conclave l'intelligence que j'ay euë entre l'Oncle et le Neveu, duquel il estoit bien amy particulier: je croy que d'ailleurs V. M. sera informée du zele et de l'affection que le Cardinal Ubaldin a témoignée en cette derniere occasion au service de V. M. qui est telle, que tout le monde l'en a grandement loué ete estimé icy , ou j' ose dire, que l'on attend de voir comme V. M. la recevra, s'estant rendu bien digne que V. M. ait agreable de le faire jouir de la pension dont il luy a pleu et à son frere, accorder les Brevets; je n'en parlerois pas si hardiment si la voix publique n'estoit pour cela, s'estant icy acquis un tel credit qu'il n'y a guere de Cardinaux en cette Cour qui soient en meilleure consideration, ainsi que par le recit general du Conclave que je feray à V. M. elle en pourra mieux juger. Sur ce je prie Dieu.
Cardinal Ludovico Ludovisi , Pope Gregory XV's nephew, was named a cardinal on February 15, 1621, and immediately given the red biretta. The red hat (galero) was given him on February 18. On March 3, his mouth was closed and on March 17 opened and the Deaconry of S. Maria Transtiberim assigned.
Cardinal Maurizio di Savoia was given his red hat on February 18; on March 3 his mouth was closed; on March 17 it was opened, and he was granted the Deaconry of S. Maria Nova. He had been named a Cardinal on December 10, 1607.
"Relation du Conclave, dans lequel on éleut le Cardinal Ludovisio, nommé depuis Gregoire quinziéme," in Les Memoires de la Régence de la Reyne Marie de Medicis (Paris: Chez Thomas Iolly, 1666), pp. 297-336. "Cette Lettre de l'Ambassadeur de France [the Marquis de Coeuvres] écrite au Roy incontinant apres l' élection de Gregoire XV., faisant connoistre combien ce choix estoit avantageux au service de sa Majesté, " Les Memoires de la Régence de la Reyne Marie de Medicis (Paris: chez Thomas Iolly, 1666), 337-350.
John Paul Adams, CSUN
john.p.adams@csun.edu