Antoine Aubery, L' histoire du Cardinal duc de Joyeuse (Paris: 1664), pp. 51-95:
Sire,
Le Pape mourut le jeudy troisiéme de Mars environ la minuit. Je le sy sçavoir incontinent à Messieurs les Cardinaux François, et à Monsieur de Bethune vostre Ambassadeur, lequel je priay de se rendre le Vendredy suivant au Convent de la Trinité du Mont, afin d’avoir plus de moyen de luy parler sans estre détourné: où nous estans rendus ledit jour de bon matin, je luy montray les lettres que V.M. m’auoit envoyées à Marseille sur le sujet du Siege vacant, et luy baillay le pacquet dans lequel estoient les lettres que V. M. luy écriuoit et à tous les Cardinaux, en une semblable occasion. Et dautant que nous jugeasmes l’estat de cette Cour estre tel, qu’il estoit necessaire que les intentions de V. M. fussent tenuës secretes, et que nous avions quelque sujet de craindre un contraire effet, si elles estoient communiquées à tous les Cardinaux François: Nous fusmes d’avis qu’il n’estoit point de vostre service de leur monstrer lesdites lettres à tous indifïeremment, mais bien en tout évenement de les porter au Conclaue.
Et dautant que nous avions pressenty durant la maladie du Pape, que les Espagnols, Montalto, Sainte-Cecile, et autres mal affectonnez à Aldobrandin, comme Sforza, Aquauiua , Santi-Quatro, s’unissoient ensemble pour s’opposer aux desseins dudit Aldobrandin : le jugeay que nous ne pouvions mieux faire que de nous joindre auec luy, parce que son seul party estoit au double plus fort que celuy de tous les autres , etc que nous voyons ceux qui luy estoient contraires desirer tous les sujets que V.M. rejettoit, et ne vouloir point ceux qui vous estoient les plus agreables. C’est pourquoy je me resolus d’aller trouver le mesme matin ledit Aldobrandin, et luy dy que je venois luy confirmer de nouveau les asseurances que l'Ambassadeur de V. M. et moy luy avrons données de vostre bonne volonté en son endroit, de laquelle nous estions prests en cette occasion de luy témoigner les effets, et y estions mesme portez auec plus d’ ardeur que du vivant du Pape: et en auions d’autant plus de moyens que vos commandemens en l ’affaire qui se presentoit, estoient fort generaux, V. M. desirant tant seulement d’auoir un Pape qui fust sage et homme de bien, pour connostre et vouloir ce qui estoit du bien et de la liberté du S. Siege, et qui euft: aussi du courage et de la valeur pour s’opposer aux desseins de ceux, qui s’efforçoient à l’opprimer, et qu’elle seroit bien aise que toutes ces qualitez se rencontrassent en un sujet qui aimast sa personne et sa maison comme elle les cherissoit.
Et pour gagner davantage ce credit envers ledit Cardinal Aldobrandin, je luy dy que parmy ses creatures il s’en trouveroit de tels: et par ainsi qu’iI n’auroit qu’à en choisir quelqu’une, et faire tout ce qui luy seroit possible, afin qu’elle pust reüssir. Sur quoy aprés m’auoir amplement remercié, il me fit aussi plusieurs offres de son costé , et donna toutes sortes d'asseurances de vouloir seruir V. M. en cette occasion.
Et parce que je jugeois estre necessaire de nous asseurer avant toute autre chose, de n’auoir point pour Pape quelqu’un de ceux que V. M. rejettoit: le me resolu de tenir cét ordre en ma negotiation; sçavoir est de m'asseurer plustost de nos exclusions, et aprés trauailler à faire tomber le sort sur celuy qui vous seroit le plus agreable. Je dy au Cardinal, qu’il n’importoit pas tant à vostre service d’avoir tel Pape que vous pourriez desirer, pourveu qu'il fust bon et sage, comme de n’en avoir pas un qui se fut monstré partial par le passé, et qui continuant, vous donnast sujet de mécontentement. Surquoy m'ayant répondu que nous nous laissassions entendre plus particulierement là dessus: Je luy dy librement que V. M. ne vouloit point du Cardinal de Como, pour les raisons que luy-mesme sçauoit. Ce que je fis, parce qu’on m’avoit dit qu'il estoit disposé à le favorifer : et il ne me le nia point, ou pour le moins qu’iI ne le rejetteroit pas. Et le pressant sur cela de nous dire clairement son intention, il me dit qu’il ne se vouloit point declarer contre Como, afin de pouvoir par ce moyen tenir Montalto en crainte, et le faire venir à quelque chose de ce qu’il desiroit. Je luy repliquay, que s’il ne tenoit qu’a faire peur à Montalto, nous l’ayderions volontiers à la luy faire, pourveu qu’il nous asseurast qu’il ne nous en viendroit point de mal. Ce qu’il me promit et m’en donna sa parole. Je poursuivy encore pour le faire ouvrir et declarer sur les sujets qui luy plaisoient le moins. Ce qu`il fit, et reconneu par son discours qu’il ne vouloit point ny Ascoli ny Montelparo, ny aucune creature de Montalto : mais que s’il estoit contraint de venir à quelqu’une d’icelles, celle qui luy seroit moins desagreable, estoit Camerino. Je luy dy que pour le regard d`Ascoli et de Montelparo, nous le seruitions; et me resioüy de reconnoistre que par ce moyen nous estions quasi asseurez de nos exclusions. Ce qui me fit d’autant plus resoudre à m’ unir avec luy, parce que c’estoit, comme j’ay desia dit, ce à quoy nous devions tascher premierement que de nous éclaircir de tous ceux que V. M. ne vouloit point. C'est pourquoy je me resolu aussi de fonder ledit Cardinal sur le faict de Bianchetti : mais il y alla merueilleusement retenu, me disant qu’il ne pouvoit pas manquer à une de ses creatures.
Je fy entendre tout ce discours à Monsieur l’Ambassadeur, et fu d'avis qu’allant voir ledit Cardinal,il le pressast sur ledit Bianchetti plus que je n’avois fait, et l’asseurast que par ce moyen il seroit seruy de nous plus librement. Ce qu’ayant fait, ledit Cardinal s’avança de luy dire qu’il ne se pouvoir declarer ouvertement contre ledit Bianchetti : mais que quand il en seroit besoin, il metttoit en liberté quelques unes de ses creatures pour luy aller contre.
Au partir de chez le Cardinal Aldobrandin, je fu voir le Cardinal Sforce qui estoit arriué le iour auparavant, lequel me témoigna une tres-mauvaise volonté à l’endroit dudit Aldobrandin, desirant que le College des Cardinaux cassast quelques compagnies de Corses que ledit Aldobrandin avoit fait venir en cette ville peu de jours avant la mort du Pape, et que Martio Colonna n’eust point la charge des armes, comme ledit AIdobrandin desiroit. Il me monstra aussi du refroidissement à l’endroit du Cardinal de Florence, provenant a mon avis de ce qu’il desesperoit qu’il`pust reüssir, estans les Espagnols, comme il me dit, mal satisfaits de luy.
L’aprésdinée [Friday, March 4, 1605] nous allasmes à la premiere Congregation generale de tous les Cardinaux, où les scaux furent rompus, et les supplications qu’on appelle de la daterie, apportées, et quelques Officiers creez. Et dautant qu’il y a une ancienne ceremonie par laquelle au premier Consitoire , où les Cardinaux fe trouvent estans arriuez à Rome, le Pape leur ferme la bouche, c’est à dire, la faculté d’avoir voix ny en Consistoire ny en la Congregation, et en l’autre d’aprés il la leur ouvre: il avint qu’au dernier Consistoire que le feu Pape tint, il ferma la bouche au Cardinal Conti, adjoustant aux paroles qu’on auoit accoustumé de dire en cette ceremonie,que ledit Cardinal n' auroit point de voix au Conclave en l’election du Pape, s'il advenoit que Dieu disposast de fa personne. Tellement que sa mort estant immediatement survenuë aprés cette action, et la bouche n’ayant point esté ouverte audit Conti, personne ne doutoit qu’il ne fuit priué de la faculté de donner sa voix en l’élection du Pape. Toutefois il fit grande instance au contraire, et aprés auoir long temps parle en ladite Congregation, il conclud qu’ayant bien fait estudier cét affaire à de grands personnages , il trouvoit qu’on ne luy pouuoit dénier la voix au Conclaue par justice, laquelle il demandoit au College, et laissa aller quelques paroles, com'me de protester de nullité de l’élection du Pape, si on ne luy accordoit. Le Doyen du College, qui est aussi partial d’Espagne, comme ledit Conti se monstroit, dit qu’il falloit commettre la cause à trois Cardinaux , lesquels il nomma, et choisit ceux qu’il jugea deuoir estre les plus favorables. Il fut enfin resolu que le Cardinal Iustinian et tous les Cardinaux qui ont esté autrefois Auditeurs de la Rote, qui sont au nombre de sept, estudieroient cette matiere, et feroient rapport de ce qu’ils en auroient trouvé, au College pour la juger.
On remarqua aux vœux des Cardinaux, que Baronius donna le sien si libre pour la negative, en presence dudit Conti, disant qu’il falloit faire grand cas des dernieres paroles que le Pape auoit prononcées en Consistoire, qu’on deuoit croire estre comme une prophetie, qu’un chacun jugea bien qu'il n’aspiroit point à estre Pape.
Le Samedy 5 [Saturday, March 5, 1605] se passa en visites des Cardinaux, qui me vindrent voir pour découvrir où je tendois, et entre autres je reconnu le Cardinal del Buffalo estre porté a Bianchetti.
Le Dimanche 6 [Sunday, March 6], aprés disner, nous nous assemblasmes tous les Cardinaux François chez le Cardinal Serafin, qui auoit la goute, où nous resolumes de nous tenir bien joints et unis ensemble, et que pas un ne lâcheroit de son costé aucune parole d’inclulson ny d’exclusion, que du commun consentement de tous : de nous roidir à l’exclusion de Como, et à celle de Bianchetti, sur toutes, comme la plus difficile, sans nous en découvrir toutesfois, et aprés cela faire tous nos efforts pour avoir Pape le Cardinal de Florence, ou Baronius.
L’Ambassadeur d’Espagne me vint voir au soir, me protestant que son Roy n’avoit en cette action aucune affection particuliere, et n’auoit deuant les yeux que ce qui estoit du bien et de la liberté du S. Siege. Je l’asseuray que V.M. avoit la mesme intention : ce qui rne faisoit esperer de voir les François et les Espagnols unis ensemble.
Aprés luy vint le Cardinal Santi-Quatro [Giovanni Facchinetti], qui me declara le desir qu’il avoit de s’asseurer que le Cardinal Bianchetti ne fust point Pape; et ce pour plusieurs raisons qu’il me dit avoit en conscience: mais qu'il ne tenteroit pas de l’empescher s’il n’y voyoit de l’apparence : qu’à ces fins il desiroit sçauoir mon intention. Je ne la luy voulu point declarer du tout : mais je luy dy bien que s’il avoit quelque moyen de l’empescher, nous penserions à le servir. Il me dit que hors les creatures d'Aldobrandin, il se promettoit trois ou quatre vœux: qu’avec nous cinq, trois Vcnitiens, ce seroit douze ou treize: qu'il verroit s’il en trouveroit d’autres en cette disposition, me priant de faire le mesme de son costé : ce que je luy promis.
Le Lundy 7. [Monday, March 7] Sforce me vint voir l’aprésdinée : et dautant que le bruit eftoit desia fort grand par toute la ville, que les affaires du Cardinal Baronius alloient bien, il me dit qu’il en auoit l' exclusion si certaine, qu’il ne daigneroit y songer; ajoustant à cela, que sur l’heure mesme qu’il me parloit, il fe trairtoit d’un affaire d’importance duquel nous oyrions parler.
Bien tost aprés, Monsieur le Cardinal du Perron vint en mon logis, et sur le poinct que je commençois d’entrer en propos avec luy, arriua le Cardinal Aldobrandin, qui nous dit auoir grande occasion de se plaindre de nous, en ce que nous disions que les Cardinaux S. Clement et S. Marcel ne nous plaisoient point: car si cela estoit le bien et le plaisir qu’il pouvoit attendre de nous, il seroit reduit bien à l ’étroit, et quasi à une seule de ses creatures, comme le Cardinal Baronius : ce qu’il ne pouvoit endurer, et seroit contraint en ce cas d'auiser à faire ses affaires ailleurs. Je luy répondis que nous n’avions jamais dit ny pensé de les vouloir exclurre : mais que j’avois répondu à ceux qui m’auoient parlé de S. Clement, que je ne le connoissois pas, et que m’estant informé de luy, quelques-uns me l’avoient fort blâmé pour estre superbe et colere, et m’avoient aussi auerty qu'un de ses principaux neveux estoit à la solde du Roy d’Espagne: d’autres l’avoient loüé, l’estimant homme de courage, et qui ne souffriroit pas volontiers l’oppression du S. Siege et de l’Italie: Que j ’avois dit ce mesme jour audit Cardinal du Perron, que s'il avoit ces qualitez, il nous seroit fort propre; de quoy il me pourroit luy-mesme rendre bon temoignage, comme il fit. Pour le regard de S. Marcel, je luy dis qu’à la verité on luy avoit fait quelques mauvais offices auprés de V. M. mais que je luy avois témoigné, que le Cardinal d’Ossat m’avoit souvent dit qu’ en plusieurs occasions il s’estoit bien comporté pour son service; dequoy elle estoit demeurée satisfaite : Que par ainsi il pouvoit croire que nous n’avions jamais pensé à son exclusion. Il me répondit là dessus , qu’il n’auoit pas cru que nous l' eussions dit absolument; mais qu’il croyoit bien que nous n’y allions qu’ à tastons, et usa du mot zoppicando, qui veut dire en boitant: Que pour cette cause il desiroit que nous luy dissions franchement si nous les avions agreables ou non. Me voyant si fort pressé je luy repliquay que nous estions cinq Cardinaux François, qui nous estions promis les uns aux autres de ne faire aucune resolution d' importance sans nous l’auoir communiquée: et partant que je leur en parlerois et à Monsieur l'Ambassadeur, et luy en rendrois au plustost la réponse. Sur quoy il prit congé de nous, et monstra s’en aller bien content.
Sur le soir j ’allay voir le Cardinal Bevilaqua pour sonder sa disposition envers le Cardinal Bianchetti, parce qu’on nous avoit dit qu’il ne l’aymoit pas. Il me dit qu'il ne le refuseroit point, si le Cardinal Aldobrandin l’avoit agreable: mais que s’il le laissoit en sa liberté, et que nous fussions resolus de l’exclurre, il nous y seruiroit volontiers.
Le Mardy 8 [Tuesday, March 8]. aprés la Congregation generale en laquel le l’Ambassadeur d’Espagne parla, comme les Ambassadeurs des Rois ont accoustumé en semblables occasions, et fit sa harangue en Espagnol, le Cardinal Delfin me dit qu'il avoit charge d’Aldobrandin de me parler. Surquoy luy disant que je croyois qu’il estoit demeuré bien content de nous, il me répondit qu’au contraire il en estoit tres-mal satisfait, parce que nous ne luy avions donné aucune resolution sur l’affaire dont il nous avoit parlé, laquelle il vouloit avoir ce soir mesme, afin de se resoudre aprés de son costé de ce qu'il auroit à faire.
Sur cela Monsieur le Cardinal du Perron, Monsieur l' Ambassadeur [Philippe de Béthune] et moy nous assemblasmes : et aprés auoir consideré, qu' encore que nous nous fussions declarez de n’avoir point desagreables les susdits Cardinaux S. Marcel [Paolo Emilio Zacchia] et S. Clement [Giovanni Francesco Biandrate di San Giorgio], il y avoit neantmoins apparence que pas-vn d'eux ne pourroit estre Pape, parce qu’outre les plus anciens Cardinaux qui n'en vouloient point oüyr parler, il y en avoit encore plusieurs parmy les creatures d' Aldobrandin qui les rejettoient; et que fi nous mescontentions en cela ledit Aldobrandin, il nous pourroit peut-estre mettre en arbe, ou pr4endre avec nous une querele d'Allemand, et s' unir avec les Espagnols: Nous nous resolusmes d' aller voir les autres Cardinaux François, pour entendre leur opinion : Mais quant à nous, nous fusmes d'advis sur l'heure, qu'il ne luy falloit pas donner de mescontentement.
J' allay voir incontinent les Cardinaux de Giury et Serafin, qui furent de mesme opinion, et m'en donnerent la parole : ce que ne fit point toutefois le Cardinal de Sourdis, s'excusant sur ce qu'il ne connoissiot pas S. Clement, et n' avoit pas bonne opinion de S. Marcel: et qu' en tout cas, il ne se vouloit point declarer, que dans le Conclave, et aprés avoir oüy la Messe du S. Esprit. Je le priay d'y bien penser, mais je ne l' en pressay point davantage, parce que je n' étois pas trop marry qu'il eust pris cette resolution, estimant que cela nous pourroit servir, et qu' Aldobrandin ne nous l' imputeroit.
Et parce que Monsieur l' Ambassadeur et moy avions promis au Cardinal Delfin de l' aller voir à six heures du soir, nous nous resolusmes d'y aller ensemble; et priasmes le Cardinal du Perron, qui se trouva avec nous, parce que nous estions allez tous trios visiter le Cardinal d'Est, d'y vouloir venir avec nous pour oüyr la réponse que nous luy ferions: Qui fut que nous prierions le Cardinal Aldobrandin de nous excuser, si nous luy disions avec quelque ressentiment qu'il pouvoit proceder avec nous d'autre façon qu'il n'avoit fait, se plaignant de ce que nous nous laissions entendre à l' exclusion des personnes qui luy estoient les plus agreables; car c'estoit une chose qu'on ne luy aviot jamais pu dire avec verité : Que moins encore nous devoit-il menacer de faire ses affaires ailleurs, veu que V. M. n'avoit pas comme luy si grands interests et passions à qui seroit Pape, qui nous peussent faire changer la resolution que nous avions prise, parce que quiconque sera Pape aura plus de besoin de vostre faveur, que vous de la sienne. Que ce n'estoit pas aussi ce qui nous mouvoit à luy faire bonne réponse, mais bien le commandement que vous nous aviez fait de le favoriser et servir en tout ce que nous pourrions. Cest pourquoy nous venions luy donner cette parole pour se quatre de nous, n’y ayant pû faire encore resoudre le Cardinal de Sourdis, de n’exclurre point les deux Cardinaux susdits. Ce que nous faisions à la charge et condition toutefois, et non autrement, qu' aprés auoir fait ses efforts pour les faire reüssir, il viendroit avec toutes ses creatures au Cardinal de Florence, qui estoit nostre but et fin principale.
Le Mercredy 9 [Wednesday, March 9], le Doyen des Cardinaux fit lire à la Congregation une lettre en Espagnol, que le Duc de Feria Viceroy de Sicile écrivoit au Sacré College, par laquelle il luy mandoit qu’il luy envoyoit la copie d' une lettre qu' il écriuoit au Pape, n’ayant point encore sceu sa mort; pour se plaindre du Cardinal Baronius, sur ce qu’il avoit écrit dans ses Annales, touchant la Monarchie de Sicile ; et prioit sa Saincteté d`y vouloir donner ordre, et le sacré College de faire cét office enuers elle. Sur cela le Cardinal Baronius se leva et fit une tres belle apologie sur ses écrits, commençant par le verset du Psaume [108.2] Deus laudem meam ne quaesieris, quia os peccatoris et dolosi apertum est super me : et dit qu' on avoit publié que les memoires et instructions sur lesquelles il avoit dressé ce discours, luy avoient esté envoyez de France : mais que la France ne l’eust sceu faire, parce que les pieces desquelles il l'auoit composé ne se trouvoient ailleurs que dans la Bigliotheque Vaticane. Qu ' il n' avoit rien fait en cela que par le reitere commandement du Pape, lequel il appelloit tousjours Pierre, disant que Pierre l'avoit veu, leu, releu, consideré, et fait voir a trois Cardinaux,et commandé expressément qu'il fust publié : Qu'il avoit tousjours parlé en ce traitté avec respect du Roy d'Espagne, de qui il estoit ne vassal : et finit disant trois fois, dies mali sunt.
Le Cardinal d'Avila, à qui on avoit donne à lire ladite lettre, s' excusa disant l'avoir levë, sans en avoir sceu le contenu : et que de ce que Baronius avoit dit, qu'on avoit publié que lesdits memoires estoient venus de France, qu'il ne l'avoit jamais oüy : mais qu'il estoit bien raisonnable d'avoir égard à sa M. C. qui estoit un si grand Prince, si devot à l’Eglise, et qui avoit tant de moyen de la servir. Sur cela survint une grande rumeur entre les Cardinaux avec accens aigres, comme de Bandini et S. George d’une part, et de plusieurs autres, disans qu’il falloit bien avoir égard voirement au Roy d’Espagne, mais qu’aussi s’agissoit-il icy de la reputation d'un Cardinal qui patissoit pour la justice, pour l’ Eglise, et pour avoir obey au Pape, duquel on vouloit lacerer la memoire, estant à grand’ peine enseuely. Dirent de plus qu’il falloit sçauoir qui avoit baillé cette lettre. Le Doyen dit que ç’auoit esté un Secretaire du Pape' nommé Argentio : On le fit venir, il soustint devant tous qu’il n’avoit jamais receu ny baillé ladite lettre. A quoy ledit Doyen ne sceut que répondre. Ce qui luy fut une grande confuiion encerte afïemblée, laquelle connut que ce n'estoit qu‘une grande imposture forgée pour nuire à ce Cardinal, de qui la pratique estoit bien avant. Quelques-uns creurent qu’ Aldobrandin, qui ne se trouva point en cette Congregation, y trempoit et en estoit d’accord avec le Cardinal de Come et les Espagnols. D’autres avoient opinion que cela venoit des amis de Baronius, pour le rendre par ce moyen plus recommandable :`·mais ny l'un ny l’autre n’estoit pas vray-semblable. Enfin on vid en cette Congregation une grande division de volontez et témoignages d' esprits aigris, mesme en l' élection de quelques menus officiers du Conclave, comme Medecin , Chirurgien et Confesseurs; qui en fit craindre à plusieurs un rnauvais fuccez: Sur cette affaire et cette belle-lettre du Viceroy de Sicile, je creu que c'estoit la l'affaire d'importance que le Cardinal Sforce m' avoit dit qui se devoit resoudre.
La Congregation estant finie, le Cardinal Delfin nous fit entendre qu’il avoit rapporté ce que nous luy avions dit, au Cardinal Aldobrandin, lequel en estoit demeuré fort content, et nous asseuroit que nous n'aurions ny Come ny Bianchetti : mais que pour son particulier, il ne pouvoit ny ne vouloit se déclarer ouvertement contre ledit Bianchetti : 'Qu’il nous promettoit aussi, qu' aprés avoir essayé quelques-unes de ses creatures, il viendroit avec toutes elles au Cardinal de Florence, auquel Iedit Delfin me pria de rendre pour luy bon témoignage.
J' allay voir l’aprésdinée le Cardinal de Florence [Alessandro de' Medici], et luy racontay bien au long tout ce que nous avions traitté et capitulé pour luy auec ledit Aldobrandin, et les raisons qui nous avoient esmeu à le contenter en S. Marcel et S. Clement ; ce que nous avions fait, ne voyant point sujet de craindre qu'aucun d’eux peust: reüssir, et pour avoir plus d’authorité envers ledit Aldobrandin, pour le faire venir où nous voudrions, qui estoit à fa personne, laquelle V. M. desiroit par dessus tous. Je luy témoignay aussi, comme ledit Cardinal Delfin marchoit de fort bon pied en son endroit.
Le Cardinal Iustinian me vint voir ce jour mesme, se plaignant de la violence d' Aldobrandin, qui non content de la promesse qu’il luy avoit faire, d'exclure tous ceux qu’il ne voudroit pas, desiroit encore de plus qu’il s’obligeast à tous ceux qui luy estoient agreable: ce qu’il luy refusa.
Le Cardinal Santi-Quatro [Giovanni Antonio Facchinetti] me vint voir aprés pour fçavoir ce que j’avois appris pour le regard de Bianchetti. Je luy dis que nos affaires alloient mal de ce costé-là, si Aldobrandin ne nous aydoit; que pour ce, je le priois de faire quelque chose pour luy : comme aussi pour son respect, je ferois le semblable : ce que je disois pour voir si je le pouvois tirer à Baronius, qui estoit le seul Cardinal, duquel nous voulions qu’on parlast alors. Il s’en retira neantmoins, disant qu’en plusieurs autres choses, et dans les creatures d ’Aldobrandin et hors d’icelles, il luy pourroit complaire : Et me dit encore sur cela qu’il luy estoit venu une pensée à la teste, qui estoit que nous devions traitter de faire un Pape agreable aux François, Espagnols et à tous, s’il se pouvoit: comme si nous avions quelqu'un qui nous dépleust, qu’ils nous en asseurassent, et que nous en fissions de mesme en leur endroit, et qu’en ce cas nous convinssions d’un tiers agreable à tous. Je vis fort bien que cela ne venoit pas de luy, comme il disoit : mais que c’estoit un artifice des Espagnols, pour une des deux fins, ou pour gaster l'affaire de Baronius, duquel les Espagnols ne voyoient pas bien l'exclusion asseurée, ou pour nous desunir d'avec le Cardinal Aldobrandin: qui fut cause que j'entendis fort peu à ce qu'il me proposoit.
Le Cardinal Aquaviva me vint voir aprés, et me dit, que nous pourrions peut-estre avoir entendu qu’il estoit plus uny que de coustume avec les Espagnols, que cela n’estoit pas neantmoins : mais qu’il se falloit joindre plusieurs ensemble pour s’opposer à Àldobrandin, qui estoit son principal but, auquel mesme tendoir le confeil qu’il me donna de prendre garde à ne nous engager de parole à qui que ce fust: parce qu’en ce faisant, nous y aurions plus d’honneur, et en serions plus recherchez, et pourrions faire un meilleur coup, et obliger davantage celuy qui seroit Pape. En quoy il disoit vray, et l’aurions fait, si nous n’eussions desiré d'avoir l’exclusion plus asseurée de ceux que nous ne voulions point, et acquerir d'autant plus de moyen de favoriser celuy que nous desirions le plus.
Le Cardinal Visconti me vint voir aprés, qui me monstra sur la liste des Cardinaux, que pourveu qu’Aldobrandin y allast de bon pied, il ne manquoit que deux voix à Baronius pour estre Pape.
Le jeudy dixiéme, [Thursday, March 10], je n’allay pas à la Congregation, où l'on ne fit que distribuer les chambres du Conclave. lustinian me vint voir aprés disner, pour découvrir de moy si nous allions à l'exclusion de Bianchetti : ce que je ne voulu point luy declarer.
Le Vendredy onzième [Friday, March 11], on Ieut en la Congregation generale les articles dressez par quelques Cardinaux, qui peu de jours auparauant auoient esté deputez à cela, comme c’est la coustume, pour estre signez par tous les Cardinaux; afin que celuy qui seroit Pape, fust obligé a les observer. ll y avoit entre autres choses, Que le Pape procureroit la guerre contre les Turcs ; Qu' il acheveroit dans un an d'une facon ou autre, l'affaire de auxiliis : Qu' il donneroit aux Cardinaux pauvres moyen de vivre selon leur grade: Qu'il absoudroit les Cardinaux de tous crimes, quelques atroces et enormes qu'iis eussent perpeetrez. Je fus d'avis que le dernier article fust osté, parce qu’il sonneroit mal, et qu'on s'en scandaliseroit : mais on en retrancha seulement ces trois mots, atroces, enormes et perpetrez. Le Cardinal Aquaviva dit qu’il y falloit adjouster, Que les neveux du Pape ne fussent plus Camerlingues; ce qu’il dit pour offenser le Cardinal Aldobrandin qui en est pourveu; mais il ne fut pas suivy. Et le Cardinal de Sourdis dit que le Pape devoit communiquer les affaires des Princes au Consistoire: à quoy il fut contredit par le Cardinal Valenti.
Je fis entendre au Cardinal Aldobrandin qu’il advisast a l’affaire du Cardinal Conti, parce que le Cardinal Gallo qui estoit son plus grand ennemy, venoit de me dire qu’il luy falloit octroyer la voix au Conclave, parce qu’il seroit contre luy.
Monsieur l'Ambassadeur entra en l’assemblée generale, où il parla fort bien en Italien, et fut grandement loüé de tout le College.
Le Cardinal Spinelli me vint voir l’aprésdinée pour me persuader à l'exclusion de Florence, disant qu'il avoit un neveu à Naples, la fille duquel estoit mariée avec le fils du Regent, qui estoit tout le Conseil des Espagnols : lesquels, à ce qu’il disoit, le voudroient bien. Je le remerciay de cét advis, et le priay de m’excuser si je ne le pouvois contenter en cela, parce que nous allions fort retenus aux exclusions : l' asseurant que je tiendrois secret ce qu’il m’auoit dit.
Monsieur l’Ambassadeur me vint voir aprés auoir esté chez le Cardinal Aldobrandin, auquel il me dit avoir parlé fort librement, et n’estre pas revenu fort content de luy, ne l’ayant pas trouvé marcher de si bon pied qu'il desiroit, a l'endroit du Cardinal Baronius, et reconneu trop interesse pour S.Marcel.
Le Samedy 12.[Saturday, March 12], le Cardinal Iustinian rapporta à la Congregation comme il avoit veu et estudié diligemment l’affaire de Conti, avec les autres Cardinaux qui avoient este à ce deputez; et qu’ils avoient conclu d’un commun accord, que par justice on ne luy pouvoit dénier la voix au Conclaue: et n’en vouloit dire autre raison. Et dautant que les plus grands ennemis dudit Conti estoient revenus à vouloir qu'il eust la voix au Conclave, pour en estre aidezs; à s'opposer au Cardinal Aldobrandin, et qu’il ne s'estoit appuyé en cét affaire que des Espagnols, et ne nous auoit daigné rechercher : je luy voulu monstrer, qu’encore le pouvions nous un peu traverser. C'est pourquoy je dis que je faisois voirement grand estat du jugement de ces Meisseurs. Toutefois qu’il me sembloit qu’on se devoit tenir à ce qui avoit esté arresté auparavant, sçavoir est que lesdits Cardinaux ne feroient que rapporter les raisons d'un costé et d'autre : afin qu'on peust rendre compte à tout le monde d’un faict si grave, et pour nous oster aussi tout scrupule, et qu'aprés les auoir entenduës, le College en devoit faire la decision et la balottée par vœux secrets. Tous les anciens furent de contraire advis, comme ayant esté gagnez, et Aldobrandin dit son advis fort ambigu. Neantmoins sept ou huit Cardinaux furent de mesme opinion que moy: et de faict il passa suivant cela: car lesdits Cardinaux ne firent que rapporter, et nous opinasmes par voix secrettes, toutes lesquelles furent en faveur de Conti, luy donnant la voix active et passive en l’élection du Pape, et n’y‘ eut qu’une seule au contraire.
Le Dimanche [Sunday, March 13] se passa, sans qu’il sucedast rien de memorable.
Le Lundy 14 [Monday, March 14], aprés la Messe du S. Esprit et oraison prononcée par Vestrio, nous entrasmes processionnellement au Conclave, dans lequel nous jurasmes l'observation de quelques Bulles. Les Ambassadeurs et plusieurs autres visiterent leurs Cardinaux dans leurs Celles. Je me plaignis fort à ceux de Toscane qui me vindrent voir, du peu d’estime et confiance qu'ils avoient monstrée envers les Ministres de V. M. ne m’ayant jamais rien dit ny fait entendre de ce qui estoit de l’advis et intention du grand Duc, sur une affaire de telle importance qu’estoit celuy que nous traittions : et mesme que personne n’estoit venu de sa parte que cinq ou six jours aprés la mort du Pape, et ne m' avolt-on parlé que dans le Conclaue: Que ce n’estoit pas ce que V.M. et nous devions attendre de luy qui devoit avoir tant de credit en cette Cour, que par raison nous nous en devions promettre toutes sortes d’instructions et d' aides; et qu’au contraire, il nous faisoit bien mal au cœur de les voir unis et ne traitter qu’avec les Espagnols, qui à mon advis, ne les en estimeroient pas dauantage:Que nous avions bien esté contraints, nous voyans si abandonnez de luy, de penser à nous, et faire le moins mal que nous avions pû. Je leur exaggeray tant cela, qu’au lieu qu’ils se plaignoient des François, publiant par tout qu’ils s’estoient trop obligez à Aldobrandin, et qu' ils n'en pouvoient esperer ny retirer aucun seruice; ils furent contraints d'entrer en excuses, et ne nous oferent presser de faire contre S. Marcel, qui estoit celuy qu'ils craignoient sur tous. Je leur promis neantmoins de faire tout ce que je pourrois pour servir le grand Duc, quand je fçaurois ses intentions. Et sur ce, ils monstrerent partir bien contens.
Le Mardy 15 [Tuesday, March 15], le Conclave estant bien fermé, nous vismes une ligue bien formée, de ceux que i’ay dit cy-dessus, contre Aldobrandin. Et dautant qu’il courut un bruit qu’ils pourroient venir peut-estre à ce party d’offrir au dit Aldobrandin qu’il leut donnast le choix d’une de ses creatures : je craignis qu’ils pourroient bien choisir Bianchetti, plustost que tout autre. C'est pourquoy je me resolu de dire audit Aldobrandin, qui m' estoit venu voir, que pour avoir plus de moyen de le servir avec toute liberté, et sans penser à autre chose, nous desirions qu’il nous asseurast mieux de Bianchetti qu’il n’avoit fait. Que ce n’estoit pas assez de dire que nous ne l'aurions point : mais que je desirois voir en particulier sur quoy cela estoit fondé, et de quelles personnes nous pouvions faire estat pour son exclusion. Se voyant pressé, il nous dit que nous ruinions ses affaires, de le contraindre à des choses si particulieres; que l’asseurance qu’il nous donnoit en general nous devoit suffire. Je luy répondis que cela ne nous satisferoit pas qu'en nous donnant contentement, nous desirions et pouvionssle servir. Je n’en pû pourtant tirer autre chose.
Il me demanda aprés ce que je luy conseillois de faire pour cette heure. Surquoy aprés auoir bien pensé je consideré que l'affaire du Cardinal Baronius estoit en bon estat; que le Cardinal Visconti m’avoit dit, que si ledit Aldobrandin y vouloit marcher de bon pied, il pourroit reüssir : que plusieurs en doutoient, comme j ’en faisois aussi, que ledit Aldobrandin le desirait bien dans son ame; que plustost il n’eust tenté quelqu’un de ceux qu’il favorisoit davantage : Et moy au contraire, desirant que si une de ses creatures devoit reüssir, comme pour lors il estoit tout à celà, que ce fust ledit Baronius plustot que tout autre; je luy dis, qu’à la verité il devoit tâcher à faire Pape une de ses creatures, et qu’au choix d’icelles il ne devoit pas tant regarder à celle qu’il desiroit le plus, comme à la plus aisèe, parce qu’il n'avoit plus à desirer d’estre accreu par un Pape, mais seulement d’estre favorablement conservé : Que pour tout cela le Cardinal Baronius me sembloit le plus à propos. ll me pria de le conseiller s’il devoit tenir de le faire Pape cette nuit mesme : parce que d’un côté il en craignoit l’issue, et de l'autre il avoit regret de perdre la belle occasion qui se presentoit : car en faisant nostre compte, nous avions trouvé que‘nous estions environ quarante vœux, et n’en falloit que 41. pour faire un Pape. Je m’excusay de luy donner seul conseil, en une chose de si grande importance. Il me pria d’aller à la chambre de Visconti, où estant il nous dit qu’il seroit ce que tous deux luy conseillerions. Surquoy Visconti ne sceut aussi luy donner autre conseil, sinon qu’il falloit s’éclaircir de deux ou trois vœux, hors de ses creatures, fçavoir est Pinelly, lustinian, et Monti; et de trois ou quatre dans icelles , qui estoit Bianchetti, Borghese, Arigon et Monopoli : et qu’on se resoudroit aprés selon ce qui auroit esté trouvé.
Bandini estant survenu sur ce propos, Visconti dit en sa preference à Aldobrandin, que si Baronius avoit tant de difficultez, qu’il en trouveroit bien de plus grandes en ses autres creatures. Mais Bandini dit qu’il ne le croyoit pas, et qu’il en sçauoit, à laquelle Montalto et les Espagnols iroient fort volontiers. Je vis fort bien qu’il entendoit le Cardinal Bianchetti : et joignant ce que Iustinian m’avoit dit, que si Aldobrandin leur vouloit laisser le choix d’une de ses creatures, qu'ils s’y accorderoient : je me confirmay en cette creance, et me resolus tout incontinent d' aller avec le Cardinal du Perron, trouver Delfin en qui nous avions deposé, comme j ’ay dit cy-dessus, nos promesses reciproques, et de luy dire franchement que si Aldobrandin se vouloit servlr de nous, il falloir resolument qu’il nous asseurast de l’exclusion de Bianchetti, en l’une de ces deux façons; ou en nous indiquant autant de sujets qui nous estoient necessaires pour icelle, ou en donnant à tous trois sa parole et sa foy, qu’il s`opposeroit audit Bianchetti, jusqu’a se declarer luy mesme, s’il en estoit de besoin. Il nous asseura de luy dire à bon escient.
Montalto me parla cette aprésdinée , et me dit assez dédaigneusement qu’il ne croyoit pas que nous fissions l'exclusion à toutes ses creatures, comme on luy avoit rapporté, parce qu'on sçauoit bien que V. M. avoit des obligations au Pape Sixte, et qu’il s'estoit aussi tousjours tres-bien comporté envers Ia France. Je luy répondis que je n’avois aucune connoissance de ces obligations, qu'aussi n’estoit ce pas cela qui nous empéchoit de les exclure : mais bien qu’ayant luy fait souvent dire à V. M. qu’il estoit son serviteur, vous seriez bien-aise de le favoriser. Et pour luy en dire la verité, la plus importante et principale raison estoit, qu’il y avoit parmy ses creatures des sujets que V. M. iugeoit bons, et dignes d'estre Papes, et ausquels elle vouloit beaucoup de bien.
L'assemblée que nous avions faite chez Visconti l' aprês-disnée, donna telle frayeur à nos adversaires, croyans asseurement que cette nuit nous devions faire Baronius Pape, que la pluspart d’eux dormirent vestus, et entre autres le pauvre Cardinal d'Auila tout vieux et malade qu’il estoit.
Sur le soir bien tard le Cardinal Delfin me vint dire que, le Cardinal Aldobrandin se contentoit de nous donner parole le lendemain à tous trois, d’empescher que Bianchetti ne fust point Pape.
Le Mercredy 16. [Wednesday, March 16], le Cardinal du Perron et moy ayant rencontré ledit Aldobrandin, il nous le confirma. Tout le jour se passa en visites jusques au soir, que ledit Delfin me pria de venir avec le Cardinal du Perron en sa chambre, où le Cardinal Alcdbrandin nous attendoit, pour nous faire solemnellement la promesse que nous desirions : sur laquelle neantmoins, quand ce fut au faict et au prendre, il nous fit de tres-grandes difficultez. Et pour ce il nous luy fallut parler à bon escient, jusques a luy dire que nous aurions recours ailleurs, et que en ce faisant il nous faudroit obliger à des choses qui nous empescheroient de le servir comme nous desirions. Enfin il nous promit, et nous toucha dans la main, qu'il empescheroit ledit Bianchetti d’ étre Pape à quelque prix que ce fust; jusques à se declarer soy-mesme , s’il estoit besoin, pourveu que nous jurassions de le tenir secret, et de luy laisser gouverner cét affaire par les meilleurs moyens qu’il aduiferoit.
Le Jeudy 17. [Thursday, March 17], le Cardinal de Sainte Cecile [Paolo Emilio Sfondrato] estant malade, voulut essayer d’avoir une plus grande chambre que celle qu’il avoit dans le Conclave : à quoy nous resistasmes avec toute la faction d’Aldobrandin, sur le pretexte d’ une Bulle qui le defendoit, mais en effect pour le contraindre par ce moyen de sortir du Conclave, comme il fit aprés avoir demandé son congé. Dequoy tous ses confederez luy sceurent fort mauvais gré, et luy·mesme fut marry de ce que ledit congé luy fust si facilement octroyé, et ne voulut sortirr de tout ce jour·la.
Le Cardinal Santi Quatro me vint voir, pour sçauoir ce que j' auois fait pour le regard de Bianchetti; et encore que j' en eusse l'exclusion bien asseurée , je luy dis neantmoins que cét affaire alloit mal , et que je n' avois pû rien tirer du Cardinal Aldobrandin: ce que je fy pour Ie persuader qu' il s'en pouvoit delivrer, venant a Baronius : mais je n' y pû gagner autre chose.
Bien-tost aprés qu' il fut sorty, Aldobrandin entra dans ma chambre, où il trouva les Cardinaux de Giury et du Perron. ll nous monstra estre le plus trauaillé du monde, de ce qu'on luy faisoit faire des choses contre son gré, se plaignant de Visconti, qui l' auoit comme contraint de parler à Montalto pour Baronius, esperant qu'il le gagneroit : mais que luy en ayant parlé à regret, il en avoit aussi rapporté vue mauvaise réponse : dequoy il estoit infiniment affligé.
Je fus voir le Cardinal Baronius en sa chambre, à qui je n’avois jamais osé parler de son affaire, tant s’en faut qu`il mandiast les vœux, et qu’il s’aidast à estre Pape, comme plusieurs autres: fuy disant neantmoins que j ’estois fort scandalisé de ce que le Cardinal de Ste Cecile qui faisoit profession d’estre si devot, luy estoit contraire. ll me répondit que ledit Ste Cecile estoit trop interessé avec les Espagnols, et qu'il avoit plus d’égard à ce qui estoit de son particulier , qu’à l'honneur de Dieu: puis se tournant vers un tableau de la Vierge Marie, il me dit que ce seroit celle-là qui feroit sa part en cette affaire.
Le Vendredy 18. [Friday, March 18] se passa sans faire chose d’importance. J’allay voir le Cardinal de Florence, et luy fis entendre bien au long la bonne volonté que V. M. luy portoit, et comme elle le desiroit sur tous autres, ne nous ayant jamais rien commandé avec plus d’instance que de travailler et de nous roidir du tout à cela. Il m’asseura qu'il le croyoit ainsi, et me demanda en confidence si je ne sçauois point comme le grand Duc alloit en son endroit, et me conjura de luy en dire la verité. Je luy dis que je n’y avois reconneu que du bien, encore qu’en mon ame je crusse autrement. Il s’estendit aprés à me dire ce qu’il feroit estant Pape, et entre autres choses il me dit qu’il vivroit avec splendeur, et avroit un particulier soin que les Eglises fussent bien tenues, et ne feroit que fort peu de Cardinaux , mais qu’ils seroient fort honorables: et s’il faisoit autrement, que je luy reprochasse avec paroles aigres.
Le Samedy 19. [Sunday, March 19], le Cardinal du Perron me dit que le Cardinal Gallo luy avoit fait un long discours; disant qu’en ce Conclave les François n’acqueroient point de reputation: qu’on voyoit les Espagnols se remuer à bon escient, et faire parler d’eux : et au contraire les François n’estre qu’adherans du Cardinal Aldobrandin. Je ne fus point d’advis non plus que luy, que pour tout cela nous changeassions de dessein, puisque sans nous remuer nous avions nos exclusions toutes asseurées, et que faisant autrement nous pourrions plus ruiner que servir ceux que nous desirions : qu’ayant l'effect de ce que nous demndions, il ne nous falloit guere soucier de ces bruits, parce que qui en auroit le profit en auroit l'honneur : et qu’il estoit bien aisé à connoistre qu’a nous separer d'Aldobrandin, on gasteroit quelque affaire.
Ce jour mesme entra le Cardinal Diechtristain : et nous estions en grand doute de quel costé il inclineroit: mais nous sceusmes dés le soir mesme qu'il iroit contre Baronius, auquel neantmoins il avoit de tres-grandes obligations.
Le Cardinal Delfin,ayant peut-estre entendu quelque chose du propos que le Cardinal Gallo avoit tenu au Cardinal du Perron, nous vint asseurer dela part d’Aldobrandin, qu’il ne commenceroit aucune pratique sans nous en advertir et nous en rendre compte.
Le Dimanche 20. [Sunday, March 20], Monsieur l'Ambassadeur me fut dire à la route, par laquelle on a accoustumé de faire entrer la viande des Cardinaux, que le cavalier Clement voyoit souvent l’Ambassadeur d’Espagne, et en mesme temps nous vismes Aldobrandin traitter bien au long avec d’Auila et Sforce, sans que nous en eussions aucune communication.
Ledit Aldobrandin dit en mesme temps au Cardinal du Perron et a moy en la chambre de Delfin, qu’il falloit feindre de vouloir faire Pape le Cardinal Como, pour essayer si par ce moyen il pourroit desunir Montalto d’auec les Espagnols : nous respondismes que nous fians de sa parole nous trouverions bon qu’il s'aidast le mieux qu’il pourroit.
Aprés cela me parlant de plusieurs choses qu’il falloit faire, il me dit qu’il vouloit tenir tous les unis et confederez de l’autre bande en perpetuelle peine, et leur vouloir donner tous les soirs des allarmes, se voulant servir d’une chose qu’il avoit oüy dire à V. M. qui estoit que vous avez gagné plus de places en trauaillant ceux de dedans par allarmes continuelles, que par force de dehors : et nous conta aussi que l’autre jour parlant à Montalro, il s’estoit servy d’une autre chose qu’il vous avoit oüy dire; car comme il le pria de vouloir faire quelque chose pour tous eux, il luy respondit ce que V. M. avoit répondu au Pape Clement, le priant de faire quelque chose pour la Ligue, n’en vouloir rien faire, mais bien pour les particuliers de la Ligue qu’il luy recommanderoit.
Le Lundy 21. [Monday, March 21], le Cardinal del Monte me vint voir l'aprésdinée, et rne dit avec grande émotion comme la pratique de S. Marcel alloit fort avant, et que par ainsi il falloit que nous pensassions à l’empescher. Je luy répondis qu'il ne s’abusast point d'esperer rien de nous en cela, et que je ne luy voulois point celer que V. M. n'avoit jamais eu que de bonne relation dudit S. Marcel, tant par vos Ambassadeurs, que par le feu Cardinal d’Ossat, qui vous avoit témoigné comme il estoit bien porté lors qu’il s’étoit traitté de vostre absolution, et de la declaration de la nullité de vostre mariage, et en l' affaire du Marquisat de Salusses. Ce qu’oyant il sortit quasi hors de soy, et me dit en jurant s’il seroit dit que par nostre moyen le grand Duc vist Pape un si grand ennemy que celuy-la. Je monstray estre fort estonné de ce qu'il disoit, veu que tant luy que le cheualier Vinta m'avoient dit auparavant que le grand Duc ne rejettoit point ledit S. Marcel, tant ils usoient de dissimulation avec nous; que voyant à cette heure tout le Contraire, il m’excuseroit si je luy disois, que s’il advenoit en cela du mal au grand Duc, il l'auoit bien merité, veu qu’il n`auoit jamais traitté de ses affaires qu’avec les Espagnols, s'estant uny auec eux jusques à empescher et persecuter un sujet que V. M. eust eu si agreable, comme estoit Baronius : Que voyant cela, nous avions esté contraints de penser à nous, nos affaires estant en mauvais estat si nous n'avions eu aide que du grand Duc. Sur cela il partit en grande furie. Je fus fort aise de luy avoir donné cette alarme et apprehension que S . Marcel pust reüssir Pape : et avertis mesme fous main quelques·uns de mes amis de sa bande, du danger qu’il y avoit que les François, et Aldobrantdins estant unis ensemble pour ce sujet, et les Espagnols; y venans, il ne fust crée Pape, comme il y avoit appairence que les Espagnols y viendroient, parce qu’estans leurs affaires en l'estat que je les voyois, ils ne pouvoient sortir avec plus d’honneur du Conclaue, qu’en faisant Pape ledit S. Marcel. Ce que je faisois pour deux raisons : l'une pour attirer pac ce moyen quelqu'un d'eux au Cardinal Baronius: l'autre pour les haster à s'asseurer de l' exclusion de S. Marcel, laquelle je desirois en mon ame, afin que par ce moyen nous peussions faire resoudre Aldobrandin de n’esperer de faire Pape une de ses creatures, et le reduire à venir plustost à Florence. Le second dessein qui estoit de l’exclusion de S. Marcel me reüssit : car ils y travaillerent tellement toute la nuit qu’ils lasseurerent.
Le Cardinal Aldobrandin me vint voir le soir, estant extremément affligé du bruit qui couroit par le Conclave touchant S. Marcel, estimant, comme il disoit, que ses ennemis l’avoient semé pour iuy exclure toutes ses creatures; et me demanda conseil de ce qu’il avroit à faire. Je luy rendis compte premierement de ce que le Cardinal dal Monte m'avoit dit; et comme je l'avois asseuré que nous irions à S. Marcel, dequoy il me remercia fort : et que pour le conseil qu’il m’avoit demandé, il me sembloit que pour faire cesser ledit bruit, il devoit prier le Cardinal d’Avila de vouloir asseurer les autres, que ledit Aldobrandin n’en avoit jamais parlé.
L‘on mit encore en avant la pratique du Cardinal Tosco, sans le consentement d’Aldobrandin : car c’estoit un artifice des ennemis dudit Aldobrandin, que de mettre en jeu celles de ses creatures en qui il esperoit le plus, pour leur faire des exclusions, et l’éclaircir par ce moyen qu’il ne s’attendist point d’en faire reüssir quelqu’une.
Le Mardy 22. [Tuesday, March 22], j'allay trouver le Cardinal Delfin et luy communiquay deux pensées qui m'estoient venues. La premiere desquelles estoit, que j’avois envie de parler au Cardinal Aldobrandin, et luy dire comme il me sembloit qu'il devoit bien adviser si avec fondement il pouvoit esperer de faire Pape une de ses creatures; ce que je jugeois tres-difficile : Que s’il connoissoit n’en venir à bout, il feroit sagement en ce cas de penser en quelque autre sujet, sans attendre davanrage :premierement parce qu’essayant encore sesdites creatures, et ne reussisant pas, il les deshonoreroit aucunement, et leur nuiroit pour une autre fois. Secondement, parce que si ses adversaires pouvoient estre asseurez une fois d’avoir toutes les exclusions d’icelles, ils iroient bien pour lors avec plus de difficulté au sujet qu'il voudroit choisir hors de sesdites creatures, qu’ils ne feroient pas maintenant ayant encore un peu d ’apprehension qu’il n’en pûst reüssir quelqu’une. Tiercement, parce qu’attendant encore plus long temps a faire cette resolution, celuy qui seroit Pape ne penseroit point luy en avoir beaucoup d’obligation, voyant qu’il s’y seroit resolu lors qu’il n'en pouvoit plus, et lors qu’il estoit décheu de toutes ses esperances.
La seconde pensée que je communiquay audit Delfin, estoit de mettre en consideration audit Aldobrandin, s’il ne luy seroit point utile, qu’aprés avoir choisi celuy qui luy seroit le plus agreable hors de ses creatures, lequel sans doute reconnoistroit luy en avoir la principale obligation, il luy témoignast encore que la priere de V. M. avoit grandement servy à luy faire prendre cette resolution; afin que de là V. M. eust sujet d’écrire à son Ambassadeur, qu’il fist entendre à celuy qui seroit Pape, qu’outre les obligations que vous aviez à la memoire du Pape Clement, vous en aviez encore tant au Cardinal Aldobrandin de vous avoir aidé à le faire Pape, qu’il vouloit bien luy faire sçavoir que les faveurs ou desaveurs qu’il recevroit de luy, vous les reconnoistriez comme faites à vostre propre personne. Ce que je disois ayant tousjours ma pensée tournée sur le Cardinal de Florence, et afin de luy donner d'autant plus de sujet de reconnoistre l'obligation qu’il en avroit à V. M. Ledit Cardinal Delfin monstra d’approuver fort ce discours : mais il me dit qu'ilcroyoit n’estre pas encore temps de le faire entendre à Aldobrandin.
Au partir de là, le Cardinal Pallotti me vint prendre,et aprés divers propos et plusieurs plaintes de la longeur du Conclaue, de laquelle il donnoit le blâme à Aldobrandin, et que je l' eusse defendu; il me dit qu’il ne pouvoir refufer le party qu’on luy proposoit, qui estoit qu'Aldobrandin leur donnast le choix d’ une de ses creatures; ou bien que hors d’icelles, il chioisist le sujet qui luy seroit plus agreable. Je luy répondis que si ledit Aldobrandin me dernandoit conseil en cela, je ne luy donnerois jamais d’aceepter le premier party, non pas mesmne quand ils feroient choixr de celuy de ses creatures qu'il desiroit le plus, parce que celuy là auroit bien plus d'obligation à ceux qui l‘auroient choisi ·qu' à celuy qui luy auroit receu : mais que le second party me sembloit bien plus raisonnable de donner le choix à Aldobrandin de celuy qui luy plairoit le plus hors de ses creatures : mais que je croyois qu’au faire et au prendre, ils n’en seroient pas tous d'accord. Il m’asseura que si, et qu'ils m’en donneroient tous la parole, et souscriroient à cela, s’il en estoir de besoin. Je luy dis,que s’il rn'en faisoit donner l’asseurance par tous ses confederez, je le proposerois à Aldobrandin et luy parlerois, peut-estre d’autre façon que j'en avois encore fait, qui eestoit de luy dire qu’il se deuoit desabuser de l’esperance de pouvoir faire Pape quelqu'une de ses creatures, estant bien asseuré que hors d' icelles il ne pouvoit venir qu’au Cardinal de Florence.
lncontinet aprés ledit Cardinal de Florence me vint voir. Je luy fis entendre tout le discours que j’avois fait à Delfin, et ce que m’avoit dit Pallotti, afin de fçavoir s‘il approuvoit que je parlasse au Cardinal Aldobrandin en la façon que j’ay dit. Il me dit en estre fort content, et m’en fit de grands remercimens, reconnoissant comme il disoit que si cét affaire luy reüssissoit heureusement, il en avroit l'obligation principale à V. M.
Le Cardinal Como me vint voir bien tost aprés, parce que, comme j'ay dit cydessus, Aldobrandin avoit mis en avant sa prartique, et aprés nous estre donné de reciproques témoignages de nostre affection, il me dit que nous estions en un lieu où je luy en pouvois témoigner les effets, et qu'il desiroit estre éclaricy de ce qu' ii en pouvoit attendre, parce que les bruits estoient au contraire. Je fus longtemps à me contenter, lpour ne le fascher point dans ma chambre, mais enfin il me pressa tant, que je fus contraint de luy dire que je ne luy voulois point celer, que les Ministres du feu Roy, qui estoient en cette Cour du temps de Gregoire XIII. luy avoient fait entendre qu'il avoit fait et fomenté le commencement de la Ligue: Que le Pape Sixte avoit dit depuis publiquement, que luy et le Cardinal de Sens avoient mis le feu et la guerre en France: Que les Ministres de V. M. qui ont esté depuis en cette Cour, avoient témoigné qu' il s'estoit monstré trop partial, et passionné pour l ’Espagne. ll répondit la dessus que tous ceux-là avoient grand besoin que Died leur pardonnast, et qu’il avoit tousjours esté tres-affectionné aux affaires de France, et plus que Cardiinal du College, et me demanda si je ne le croyois pas ainsi. Je luy répondis que je voulois croire ce qu’il me disoit. ll me pria de luy dire si j’avois commandement exprés de V.M., d’aller contre luy. Je luy dis, que comme V.M. ne nommoit point ceux qu'elle desiroit estre Papes; qu’aussi estoit-elle si juste et raisonnable, qu'elle ne nous commandoit point expressément de le faire contre quelqu’un. ll me repliqua, s'il seroit possible que n’ayant point ce commandement; (lequel je ne voulus point avouër pour tout ce qui pourroit avenir) et ayant la bonne opinion que je disois avoir de luy, je preferasse les mauvais offices qu’on luy avoit faits, à ce que je sçavois estre de la verité, et qu’il desiroit bien estre esclaircy de ce qu'il s’en pouvoit promettre. Me voyant si pressé, je dis que nous estions cinq Cardinaux François qui ne resolvions rien les uns sans les autres, et qu'il me pourroit faire entendre quand il seroit temps de le servir, que j'en parIerois à ces Messieurs, et luy ferions sçavoir la resolution que nous aurions prise ensemble. ll poursuivit encore, et me demanda si en leur parlant je luy ferois bon office. Je l’asseuray que je leur dirois tout le bien que je fçaurois de luy.
Le Cardinal Ascoli [Girolamo Bernerio, OP] me vint voir aprés; lequel n'entra point en semblable discours pour son regard. Si bien fit le Cardinal Montelparo, qui vint incontinent aprés, et me demanda s'il estoit vray que V. M. fust mal content de luy, comme on luy avoit rapporté. Je l’asseuray bien amplement qu‘elle n’en avoit jamais receu de mécontentement, et qu’il le pouvoit juger lui-mesme, puisqu’il sçauoit bien n’avoir jamais eu aucun affaire en main qui touchaft V.M. et son Royaume, auquel il ne se fust bien comporté. ll me dit qu'l estoit bien serviteur du Roy d’Espagne, parce que le Roy son pere luy avoit fait mille graces: mais qu'il ne croyoit pas que cela luy deust prejudicier, veu qu'il estoit bien uny, comme nous sçauions, avec le Grand Duc, lequel ne vouloit autre que luy. Aprés l’avoir asseuré que cela ne luy pourrait aucunement nuire ; il me dit qu’on luy objectoit encore qu’ il ne s’entendoit point aux affaires du monde: mais qu' à cela il répondit que s'il n’eust eu beaucoup de connoissance, une si grande Religion comme la sienne, qui est de S. Augustin, ne luy auroir point donné les premieres charges de l'Ordre, comme de Prieur, Provincial et General, ny mesme n’auroit esté Lecteur si long temps en toutes sortes de science. Je luy dis que son argument estoit infaillible.
l’allay voir aprés le Cardinal Aldobrandin, et luy fis entendre ce que Pallotti m’avoit dit, sçavoir qu’il me seroit donner la parole par tous ses confederez, de laisser le choix audit Aldobrandin, de tel Cardinal qu’il voudrait, hors de ses creatures, et pris sur cela occasion de luy faire le discours sur lequel j ’avois demandé, conseil à Delfin touchant les diffcultez qu‘il rencontreroit en toutes lesdites creatures, du peu d' obligation qu’il acquerroit sur celuy qui seroit Pape, s’il ne s’y resolvoit qu’a toute extrémité. Je luy representay encore particulierement combien ce party luy seroit honorable et asseuré, si Pallotti satisfaisoit à la promesse qu'il m'avoit faite : et partant que je le conseillois de ne differer plus à s'y resoudre. Sur cela je le vis fort pensif et en grandegpeine, comme un homme qui se fasche de démordre de l'opinion qu’il a prise, et fe retirer d`une passion si violente comme estoit la sienne; d’avoir une de ses creatures. C'est pourquoy je ne luy dis rien de l'autre partie du discours que j ’auois fait à Delfin, touchant la part qu’il devoit donner à V. M. en cette affaire, ne connoissant pas bien comme il avoit pris ce que je luy avois dit. Neantrnoins ledit Cardinal Delfin me vint dire une heure aprés, que ledit Aldobrandin avoit pensé au discours que je luy avois fait, et qu'il avolt depuis enuoyé parler à Florence.
Le Mercredy 23. [Wednesday, March 23], le Cardinal Pallotti me dit qu’Aldobrandin luy avoit fait entendre que quelques-uns luy avoient rapporté qu’il parloit mal de luy : Que sur cela il luy avoit répondu n’avoir parlé qu' à rnoy, et luy raconta tout le propos qu’il m' avoit tenu, auquel Aldobrandin avoit monstré ne prendre point plaisir: et me dit que si ce-là estoit, il ne s’en mesteroit plus, me priant de le faire sçavoir. Je luy dis qu’il avoit gasté tout l’affaire : Que sans doute Aldobrandin ne prendroit point plaisir à sortir hors de ses creatures : et que s‘il m' en parloit, il faudroit que moy mesme luy conseillasse de ne le faire point : et que par ainsi je ne luy pourrois demander s’il auroit agreable qu’on continuast cette pratique, puisque je ne l'oserois conseiller d’y entendre. Neantmoins ledit Pallotti me pressa plus d'une fois d’en sçavoir sa volonté. Ce qui me flt douter qu’il n’avoit pas trouué les choses en l'estat qu’il‘pensoit, et qu’il desiroit pouvoir trouver quelque excuse pour s'en retirer. Toutefois je luy dis que puisqu`il le vouloit ainsi, je luy en parlerois ce que je fis. Mais je conseillay Aldobrandlin de trouver bon que je r épondisse de sa part, qu’il avoit fort rejetté ce party, ne me femblant pas raisonnable qu’il y entendist, jusques à ce qu’on luy eust mis en main la chose toute asseurée ; ce qu’il approuvus. Je fus neantmoins confirmé au dessein de continuer cette pratique par Visconti et Arigon, deux fort habiles Cardinaux, qui me dirent que si Aldobrandin ne prenoit ce party vistement, qu’il ne feroit rien de ce qu’il voudroit: qui fut cause que je voulus reparler audit Pallotti, et luy dire qu' Aldobrandin ne prenoit a déplaisir qu’il conttinuast. Mais j' apperceu par quelques conjectures, qu’il ne trouvoit pas Montalto si disposé à cela, qu'il· m'avoit dit, comme je m'en estoit desia douté, et fus puis aprés asseuré par Aldobrandin. C‘est pourquoy nous fusmes d’avis de nous roidir sur Baronius plus que jamais, et les laisser venir sans mettre encore en avant Florence. Dequoy Aldobrandin fut bien aise, pour n'estre point pressé à se resoudre de se retirer de la pensée et esperance de saint Marcel.
Le soir les Cardinaulx Aldobrandin, Delfin et moy, nous assemblasmes chez le Cardinal Cesi, et nous resolûmes d’essayer si nous pourrions faire quelque coup pour le Cardinal Serafin, et pensasmes qu’il nous pourrot rreüssir, en priant quelques Cardinaux hors les creatures d’Aldobrandin, de luy vouloir donner leurs voeux le lendemain au Scrutin, seulement pour luy faire cét honneur, comme les Cardinaux ont accoustumé de se rendre de tels offices : et avions resolu, s’il y en eust ququelque nombre,de luy en faire donner par plusieurs des creatures du dit Aldobrandin, ou nous reserver encore quelques-uns des plus asseurez pour luy faire l’accez, si nous eussions veu que le nombre eust esté suffisant.
Le Jeudy 24 [Thursday, March 24], le Cardinal Baronius eut 23. voix : et parce que le dessein que nous avions fait pour Serafin fut découvert, nous ne fusmes pas d’advis de faire ce que nous avions projerré. Toute reste de ce jour-là le bruit courut par le Conclave, qu'on vouloit le lendemain donner des accez audit Baronius, dequoy ceux qu luy estoient contraires, eurent telle apprehension, qu’ils s'assemblerent le soir chez le Cardinal d’Avila, et jurerent de nouveau son exclusion.
Sur ce que j'avois reconneu que Pallotti desiroit se retirer de la negotiation que j'ay dit cy-dessus, estant entré aussi en plus grand doute qu' auparavant de Montalto ; je dis au Conclaviste du Cardinal de Florence [either Roberto Ubaldini or Pietro Cima], que ses affaires n’alloient pas si bien comme il pensoit du costé de nos adversaires, et que je craignois que non seulement les Espagnols, mais aussi Montalto s'en retiroit : ce qu'il me dit; neantmoins ne pouvoir croire, veu les grands iuremens qu’il luy avoir faits, pour l'asseurer du contraire.
Le Vendredy 25. [Friday, March 25], jour de l’Annonciarion de N. Dame, Baronius eut 27. voix : dequoy ceux du party contraire furent grandement irritez, et principalement Montalto, qui dit qu’on les trattoit en enfans, et qu' on leur vouloit faire peur ; laquelle fut si grande, qu'ils firent rentrer avec grande haste le Cardinal de Sainte Cecile dans le Conclave.
Aprés estre sorty du Scrutin, j'allay visiter ledit.Cardinal de Sainte Cecile; j ’y rencontray Aquaviva qui me retira à part, et me dit qu’on luy avoit parlé du Cardinal de Florence, et qu’il esperoit de |’y reduire, et me pria de dire à Visconti, qu'il feroit bien de le venir visiter. Je fis l'offîce, et le Cardinal Visconti me dit , que si l ’affaire de Florence alloit bien, il falloit se resoudre de parler clair et net à Aldobrandin, et le détromper de l’opinion qu’il avoit de faire une de ses creatures.
Le Cardinal Delfin me vint voir aprésdiner, et fut de mesme opinion que moy, touchant ce que j'avois dit au Conclaviste de Florence, et fusmes encore tous deux d’avis que si Visconci ne se resoluoit de parler plus froidernent de c ét affaire, il luy pourrait nuire : Ce que je luy conseillay de luy dire, et promit de le faire.
Cependant la pratique de Como, qu’Aldobrandin nous avoit dit avoir rnise en avant, seulement pour diviser les autres, alloit tousjours continuant.
Sur le soir Aldobrandin me vint demander conseil sur deux choses: l’une, s'il ne devoit pas dire à Montalto, qui travailloit à faire l'exclusion de toutes ses creatures, que puisqu'il le traittoit ainsi, il la feroit aussi à toutes les siennes: l’autre, s'il devoit traiter: l'affaire de Corno avec Ste Cecile, Como l’en ayant prié avec grande instance. Sur la premiere, je luy répondis qu'il me sembloit qu’il ne devoit pas luy-mesme dire cela à Montalto, parce qu’ils se pourroient aigrir les uns contre les autres; mais que je ne trouverois point rnauvais, qu’il le luy fist entendre par un tiers. Sur la seconde, je luy dis que la chose meritoit qu’on y pensast, parce que je craignois que Ste Cecile, si habile comme il est, ou il découvriroit incontinent son artifice, lequel il disoit ne rendre qu’à les desunir, ou qu’il le metttoit peut-estre en tels termes, qu’il s’engageroit trop avant. Et encore que je ne doutasse point de fa foy, si resolus-je pourtant de communiquer ce qui se trattoit de Como aux Cardinaux François, afin de prendre garde, et pourvoirà ce qui pourroit avenir.
Le Samedy 26. [Saturday, March 26], je reconneu par le discours d’Aquaviva et de Santi Quattro, qu’ils trouvoient difficulté en l’affaire du Cardinal de Florence, ne pouvant faire resoudre tous leurs confederez à donner l’élection libre à Aldobrandin; et j'y en voyois encore du costé du Cardinal Aldobrandin, parce qu’il estoit tousjours aheurté sur S. Marcel. Ce qui me flt conseiller à Florence de faire tout ce qu'il pourroit, afin qu’on attendist encore·de parler de son affaire: car je craignois qu’on ne le voulust gaster : Ce qu’estant, je voyois que nous estions reduits à demeurer un an dans le Conclave, ou à tomber en quelque sujet extravagant.
Aldobraudin me fit drte par Delfin que nous n’eussions aucune apprehension qu’il nous manquast de foy en l'affaire de Como, encore qu’il ne parlait point à nous de tout ce jour là : car ce n’estoit que pour faire la peur plus grande.
L' appris qu’Aldobrandin contre mon conseil estoit allé parler à Ste Cecile, et qu’entre autres choses le dit Ste Cecile luy avoit dit clairement qu’il ne pensast plus à S. Marcel, et que luy-mesme se seroit chef de l’exclusion. De quoy, je fus bien aise : car je ne desirois rien tant que de voir Aldobrandin hors de cette esperance, durant laquelle j' apprehendois infiniment que les Espagnols ne penetrassent le traitté que nous faisions pour Florence, et·qu'ils ne luy fissent l' exclusion.
Je sceus aussi comme le Cardinal Aldobrandin avoit parlé au Cardinal d'Avila, lequel fe plnignit à luy de voir tous les jours tant de vœux estre donné à un ennemy du Roy d’Espagne, comme estoit le Cardinal Baronius : et qu’ Aldobrandin se plaignant de son costé, des exclusions qu’il faisoit à ses creatures, et·à mon advis le requerant de quelque chose, ledit d'Avila luy avoit répondu qu' il luy en rendroit réponse dans deux jours, et luy en declareroit un autre que le Roy d’ Espagne ne vouloit non plus que Baronius. Je creu que c'estoit Florence, et craigny qu’Aldobrandin ne l’abandonast:volontiers; pour obtenir quelque chose pour S. Clement, ou S Marcel.
Le soir Aldobrandin me vint dire qu'il avoit:traitté ce jiour-là avec Sainte Cecile, et ne me disoit pas veritablement ce qui s'estoit passé entre eux. Il me fit aussi entendre que l' affaire de Como alloit fort avant, et qu’on en oytoit bien-tost parler, cormme il advint. Car incontinent aprés qu'il fut sorty de ma chambre, Montalto y entra, estant quasi hors de foy à cause du bruit qui courait de Como : disant qu’il voyoit bien que c' estoient des artifices d’Aldobrandin, lesquels ne luy serviroient de rien; et qu’il avoit quasi envie d’aller luy-mesme à Como, s’asseurant bien qu’il feroit déplaisir à Aldobrandin. Je luy dis que j'estois de son advis, et que c’estoient des artifices, desquels je ne me pouvois émouvoir: dautant que je croyois bien qu'en effect il le desiroit moins que tout autre : et que s’il se resolvoit d’y aller, nous y irions encore, parce que nous n'avions point d' apprehension qu’il pûst nuire à V. M. de laquelle il auroit tousjours plus affaire, qu’elle de luy. Ce qu’ayant entendu, il eut encore plus de peur, et me demanda si nous ne nous banderions pas contre ledit Como. Je luy dis qu'oüy, s'il se faisoit chef de l' exclusion. Il voulut fçavoir combien nous ferions. Je luy dis que je l'asseurois pour cinq, et que j'esperois qu' avec les Venitiens, et quelques-uns de mes amis, serions iusques à dix. Il répondit qu’ avec cela il estoit asseuré. Je luy dis aprés que si cela estoit, Aldobrandin nous auroit bien fait un vmauvais tour: mais que les Espagnols qu’ il avoit tant servis en cette occasion, le luy auroient fait encore pire.
Le Cardinal de Sourdis qui se rencontra à ce discours, luy dit ce que j'en’avois osé luy dire, de peur qu'il eust trop de sujet de reconnoitre que nous voulions luy faire peur; Que si les Espagnols faisoient Pape Como, il seroit bien employé, pour s’estre trop mis auec eux; et qu’Aldobrandin aussi feroit bien de le traitter en cette façon, puisqu’il s’estoit bandé contre un si homme de bien, comme efloit le Cardinal Baronius.
Le Dimanche 27. [Sunday, March 27], ledit Cardinal Baronius eut 31. voix, de quoy le party contraire enrageoit, et particulierement le Cardinal d'Avila ,qui.disoit tout haut que c'estoit traiter un Roy trop indignernent, de donner si effrontement tous les jours tant de vœux à un sien ennemy, et que ses sujets mesmes y cooperassent. Le Cardinal dal Monte me parla long temps, et me dit qu'on donneroit, à son advis, à Aldobrandin le choix de tous les Cardinaux hors de ses creatures, si on estoit asseuré contre Como [Ptolomeo Galli] et Verone [Agostino Valier]. Je luy dis que moy luy portant cette parole, comme je ferois, si je les voyois bien resolus à cela, je m'asseurois bien de Como, et qu’il n’y avoit pas d’apparence que Verone fust Pape: que je m'estonnois neantrnoins que luy, qui estoit Grand Duc, exclust un Venitien, que cela seroit excu excusable aux autres.
On bruyiut un peu trop à mon gré du Cardinal de Florence par le Conclave. C'est pourquoy je luy fis dire, et advertis tous ses amis de ne parler point encore de luy, et qu’on luy faisoit un grand tort d' 'éventer une affaire qui n' estoit point encore meure: et neantmoins c'est un grand cas que les Espagnols n‘en penetrerent jamais rien.
Le Cardinal Sauli me vint voir l’apresdinée, pour me prier de persuader à Aldobrandin de n’aller point au Cardinal Camerino [Mariano Pierbenedetti] plustoit qu'a luy, pour beaucoup de raisons qu'il me dit, et entre autres, pour estre ledit Camerino pure creature de Montalto, n‘estant auparavant qu'un petit Chanoine de trente escus de rente: luy au contraire, personne née fort noblement: qu’il seroit fait avec generale satisfaction de tous les Rois et Princes Chrestiens qui le desiroient, et lesquels ledit Aldobrandin pourroit obliger parce moyen : qu’il n’avoit point de parens qui ne fussent riches: bref qu' on ne pouvoit attendre de luy que toutes choses grandes et honorables.
Le Cardinal Delfin me vint voir aprés, et me dit qu’ Aldobrandin priorit parler comme de moy-mesme à Montalto, et luy offrir de porter parole audit Aldobrandin pour quelq'une de ses creatures. Je luy dis franchement que si je croyois que ce fust à bon escient, je le ferois volontiers, mais que je croyois bien qu‘il ne vouloit qu'en mettre en avant quelqu’une, pour puis aprés la ruiner. C'est pourqoy je le priay de m ’excuser, si je ne me voulois point mesler de cela. Il me dit que j’ avois grande raison, et que c’estoit la verité qu' Aldobrandin m' avoit eu autre dessein, afin que par ce moyen Montalto n' esperast plus de ses creatures, et vinst plus voIontiers à quelque autre. Il me pressa encore de parler à Montalto, pour luy accroistre la peur de Como: ce que je ne voulus faire non plus, n’estant point de mon humeur de cooperer à une fiction si grossiere et laquelle je sçavois que ledit Montalto avoit desia découverte. J' avois eu mesme peine de participer à ce qui s’estoit passé là dessus.
Le Cardinal d’Est ayant oüy parler de l' affaire de Como, me vint offrir de servir V. M. en cette occasion.
Sur le soir le Cardinal Delfin revint encore, et me dit comme il avoit parlé à Montelparo pour luy faire peur de Camerino, afin qu’on cornmençast de donner la jambe aux creatures de Montalto, comme j ’avois reconnu que c’étoit son dessein, et de commencer nommément par Camerino, parce qui il le hayssoit par dessus tous les autres, à cause qu’il luy avoit fait les plus mauvais offices envers le feu Pape, que pas un autre Cardinal, sur le sujet d’une relation qu’il fit au Senat de Venize , estant de retour de son Ambassade en cette Cour, laquelle luy avoit esté surprise, où il disoit beaucoup de mal de plusieurs Cardinaux. Et ce qui l’émouvoit encore à desirer l’exclusion dudit Camerino, estoit quil s çauoit qu’Aldobrandin l’avoit choisi par dessus toutes les creatures de Montalto.
Le Lundy 28. [Monday, March 28], Baronius eut trente voix , dequoy le party contraire continuoit à se picquer bien fort, et particulierement d’Avila, qui continuoit à crier qu’on traittoit fort indignement son Roy, et accroissoit l’injure en la publiant.
Les Cardinaux Aquaviva et Sforce me prirent au partir du Scrutin, et me dirent que si Aldobrandin se vouloit resoudre à Florence, qu’ils esperoient bien de ses affaires. Je leur dis qu’il me sembloit que les Espagnols luy estans encore contraires, et Montalto peu resolu d’y venir, et ne sfçachat pas si toutes les creatures d' Aldobrandin y estoient bien portées, et voyant luy-mesme n'estre pas encore hors d' esperance de pouvoir faire reüssir quelqu’un des siens; ce seroit mettre en trop grand danger ledit Florence, de le tenter, les chofes estant en cét estat: et partant qu’il estoit necessaire d’attendre encore : ce qu’ils jugerent aussi.
Aldobrandin me parla bien tost aprés, et me demanda conseil, si ayant sceu que ceux de la faction contraire faisoient tous les jours des congregations, qu’à l’heure mesmc qu'il me parloit ils estoient ensemble pour faire l' exclusion à ses creatures; il ne devoit point faire de mesme pour exclure celles de Montalto. Je luy dis que je n’étois point d’advis qu'il fist des assemblées : mais bien qu’il enrendist en particulier les opinions de toutes sesdites creatures sur ce sujet. Il me demanda aprés et au Cardinal Delfin, qui survint sur ce propos, si nous ne luy conseillions pas de faire à bon escient ladite exclusion à toutes les creatures de Montalto. Ledit Delfin luy répondit qu'il n’estoit pas d'advis qu’il la leur fist ouvertement, puisqu’en effect il en estoit asseuré, et qu’il seroit bien aise de leur pouvoir dire en tout temps, que quelques occasions qu’on luy eust données, il ne les avoit point voulu exclure. Je fus de mesme advis, mais j ’adjoustay qu’il n’y avoit point de danger de leur faire sçavoir par un tiers qu’ils‘couroient cette fortune, parce que tant qu’ils seroient en esperance du contraire, ils prolongeroient le Conclave, et traverseroient les desseins dudit Aldobrandin : ce que je disois, afin qu'on ne vinst point à l' exclusion ouverte de plusieurs d'entre eux, à qui je ne desirois pas qu’on fist ce tort, mais que plustost eux-mesmes s’en retirassent.
Le soir nous nous assemblasmes, les Cardinaux Visconti, Delfin et moy, et aprés avoir longtemps discouru sur l' estat de nos affaires, nous resolusmes qu’il estoit bon de faire un dernier effort, afin que ceux de l’autre bande s’accordassent plus facilement donner l’élection libre à Aldobrandin de tel sujet qu`il voudroit hors de ses creatures : et que cela estant, nous devions persuader audit Aldobrandin, de se resoudre à accepter ce party: et que pour surmonter les diflicultez que les autres pourroient faire à le luy offrir, pour la crainte qu’ils auroient qu’il ne fist choix de quelque sujet qui leur fust desagreable, comme estoit Como à Montalto, et Verone aux Espagnols; falloit que je parlasse à l’oreille à Montalto et Avila, et leur donnast parole qu’ils n’auroient ny lun ny l’autre.
Le Mardy 29.[Tuesday, March 29], le Cardinal Aldobrandin parla à moy le ·matin, et me dit deux choses: l’une, qu'il avoit reconneu qu'on trompoit le Cardinal de Florence : l’autre, que si quelqu'un des adversaires me parloit du party souventesfois dit , que je les y confirmasse, mais que je fisse qu’ils vinssent parler à luy, et qu'il les écouteroit avec quelques conditions : ce qui me fit croire que sur celai il vouloit fonder quelque autre dessein.
Le Cardinal Santi-Quatro me vint voir peu aprés, et je luy parlay conformément à la resolution prise le soir avec Visconti et Delfin, sur le sujet du Cardinal de Florence: ce qu’il monstra grandement approuver et en bien esperer; et m’asseura qu’il y alloit travailler sur l'heure mesme.
Un peu aprés rencontrant Sforce, il me dit en passant que les Espagnols fussent venus à Florence, si Aldobrandin se fust resolu à temps: qui me fit craindre que son affaire ne fust gastée, et je m’en affligeay beaucoup.
Ce soir il vint une grande émotion par le Conclave, dont je fus adverty de deux endroits, coup sur coup, fondée sur ce qu’on disoit qu’Aldobrandin avoit promis au Cardinal d’Avila, d’accepter telle de ses creatures que luy et ses confederez voudroient choisir, et adjoustoit-on qu’il s’estoit resolu à Bianchetti. Et comme j' estois sur le point de sortir de ma chambre pour aller voir quel bruit c’estoit, ledit Aldobrandin y entra tout émeu, accompagné de quelques Cardinaux des siens qui l' estoient encore plus contre luy, parce qu'ils ne vouloient Bianchctti non plus que nous. Je me pria d'envoyer chercher le Cardinal Borromeo : ce que je fis : lequel estant arriué, ledit Aldobrandin nous pria bien fort de ne croire point ce qu’on disoit de luy, nous asseurant n’avoir rien dit à Auila de semblable. Sur quoy nous resolusmes qu’il le devoit aller trouver sur l’heure, accompagné de deux de ses creatures, et luy parler clairement: ce qu’il fi , mais il ne prit que Bandini avec luy, ce qui me dépleut. J’ allay cependant faire entendre aux Cardinaux François ce qui se passoit, afin de nous resoudre en cas qu’il nous voulust manquer de parole et de foy, à travailler à cette exclusion de Bianchetti, laquelle nous eust bien reüssi. Comme j ’ allois, je rencontray Bandini qui me dit qu’Avila avoit confessé à Aldobrandin, qu’il ne luy avoit jamais tenu tels discours : neantmoins à six pas de là je trouvay Aquaviva et Sforce qui me dirent tout au contraire, et qu’Avila avoit grand tort de s‘en dédire, et de faict ils s’en allerent avec quelques autres trouver ledit Avila, et luy firent reproche de ce qu’il n’avoit osé soustenir à Aldobrandin ce qu’il leur avoit dit, et qu’il y alloit grandement de son honneur. Dequoy le bon homme d'Avila fut si émeu, qu’il se leva de son lict où il estoit desja couché, et en sortant de sa chambre tout transporté de cholere et hors de soy, il rencontra Aldobrandin, et luy dit qu'il l' avoit surpris, et qu’il importoit grandement à son honneur de soustenir ce qu’iI luy avoit dit estre veritable: qu’ils estoient tous deux Prestrres, mais qu’il estoit né Cavalier, et qu’il luy soustiendroit mesme en stoccade s’il estoit besoin, qu’il luy avoit donné l’élection susdite, sans en exclure ny Bianchetti ny Tosco. Le Cardinal Aldobrandin répondit, que qui diroit qu’iI avoit donné cette élection, ne diroit pas la verité. Sur cela Avila dit en reiterant plusieurs choses contre l’honneur d'Aldobrandin, luy disant mesme des iniures, jusques à dire, Este hombre fuZio y mal nascido merece que le sean dados buffetones. Nous resolusmes enfin aprés avoir prou conteste et crié dans la chambre de Borromeo, où ledit Aldobrandin m’avoit prie de venir, qu’il falloit accommoder cette affaire dés le soir mesme: et que ledit Aldobrandin advovëroit qu’il avoit dit à Avila, qu’il avisast si toute sa faction seroit d’accord en une de ses creatures, que pour luy il n'en exceptoit pas une : que rnesme Bianchetti et Tosco furent nommez : et que sur l’asseurance qu’il luy en donneroit, il traitteroit avec elles: et qu’Avila avoit entendu par ce propos qu’il luy en laissoit l’élection libre: ce qui n'estoit pas pourtant ny le sens des paroles, ny l'intention d'Aldobrandin. Neantmoins ledit Avila ne voulut oüyr parler ce soir d' aucun d'accord.
Le Mercredy 30. [Wednesday, March 30], au matin iuls s'accorderent, et resolurent qu'il ne se parleroit plus de cela. Le Cardinal Baronius eut trente deux voix.
Aldobrandin me demanda si j'estois mal content de luy, sur ce qui s’estoit passé le soir auparauant. Je luy dis que jie ne me mettois pas en peine des paroles qu’il pourroit dire, parce que le croyant homme d'honneur et de foy, j ’en attendois les effets veritables, et tels qu’il m'avoit tousjours promis: que je le priois de m’en donner de nouveau les promesses : ce qu’il fit, et me pria de faire avec Visconti, qu’il ne s’offensait point de ce qui s'estoit passé.
Un Cardinal de mes amis de l’autre bande, me dit qu’il falloit se resoudre à ne consentir point qu’on fist Pape un jeune Cardinal: et le pressant de me dire de qui il se doutoit, il me confessa que c’estoit de Borghese, à qui il croyoit que plusieurs des leurs iroient, et qu’il avoit eu une instruction des Espagnols, qu’ils le desiroient grandement et quasi sur tous.
Je vis le Cardinal de Florence pour luy parler de son affaire, et luy dire en quel estat il estoit, et adviser ce qu’il faudroit faire. Il me pria de voir Aquaviva qui me vint trouver, et nous en discourusmes long·temps ensemble, slans nous en pouuoir bien resoudre, parce qu’il disoit ne pouvoir faire accorder toute sa troupe, de donner le choix à Aldobrandin, duquel nous avions souvent parlé, et auquel j'avois tousjours insisté pour jouër au plus seur. Je disois aussi de ne pouvoir faire venir ledit Aldobrandin à moins qu’à cela, et qu’encore seroit-ce beaucoup.
L’Arnbassadeur d’Espagne porta au sacré College une lettre generale de son Roy, et des particulieres à tous les Cardinaux, hormis aux François, ausquels Sforce vint faire excuse de la part d’Avila.
Le Jeudy 31. [Thursday, March 31], je penfay toute la nuict à l`affaire de Florence, et me sernbla que si Aldobrandin se vouloit resoudre à luy, qu’il pourroit aiément reüssir. C'est pourquoy je deliberay de luy persuader, et d’autant plus volontiers que le Conclaviste dudit Florence me vint presser et dire qu’il ne craignoit point qu’il y eust du hazard. L’ayant toute-fois communiqué à Delfin, il ne l'approuva pas, disant qu’Aldobrandin ne s'y devoit aucunement resoudre, qu'iI n’y vist plus clair, et que s’il faisoit le contraire, les choses estans en cét estat, c’est à dire sans y voir plus de fondement, il offenseroit plusieurs de ses creatures qui estoient encore en esperance : qui me fit encore croire qu’il avoit reconneu qu’Aldobrandin estoit bien éloigné de cette pensée. Il me dit aprés cela qu’Aldobrandin s’estoit resolu de faire éclaircir Sauli de son exclusion. Je luy dis que j ’en estois bien marry, mais qu’il feroit fort bien, puisqu'il n'en vouloit point, de luy faire s çavoir qu’il ne se mist point en hazard de la receuoir : car cela rompit le col à toutes ses affaires. Ledit Delfin me tenta, pour sçavoir si aucun François n’ayderoit point en son exclusion. Je le priay qu’ils n'en fussent point recherchez, parce que c'estoit un Cardinal de qui V. M. faisoit beaucoup d’estat.
Bandini me vint voir, et me parlant de ce qui s’estoit passé entre Avila et Aldobrandin, m’apprit que Farnese avoit esté cause de leur accord, parce qu’encore qu’ils fussent desunis en ce Conclave; si est-ce qu’estans alliez, il desira que cela ne passast: plus outre. La fin principale de sa visite, fut pour s’éclaircir si nous donnions l’exclusion à Bianchetti, et me pressa tant de luy dire, que voyant que cela estoit desja assez divulgué, et qu’il ne se pouvoit nier, et que d’ailleurs nous estions asseurez qu’il ne seroit point Pape, je creu estre de la dignité de V. M. de luy dire librement qu’on vous avoit fait de fort mauvais rapport dudit Bianchetti; afin que cela donnasl exemple desormais aux autres de se comporter en voftre endroit avec l'honneur et le respect qu’ils doivent ; ne me semblant point qu’en telle occasion, estant Ministre d’un si grand Prince, je deusse avoir la crainte de le declarer qu' ont les autres. La fin de son propos fut de fonder si en une occasion nous irions au Cardinal Pinelli, qui est son proche parent; je luy dis qu’ouy.
Aprés qu’il fut party, Aquaviva revint, et puis Santi-Quatro, qui tous deux me dirent qu’il seroit temps de faire resoudre Aldobrandin à Florence, s'asseurans que l' affaire reüssiroit, s’il le vouloit, et me dirent clairement qu’il ne falloit point attendre que tous fissent l' offre recherchée, qui estoit de donner à Aldobrandin le choix de tous les sujets hors de ses creatures, parce que l’ayant tenté ils l'avoient trouvé impossible. Ils me declarerent aussi que le temps pourroit nuire à cette affaire si on la retardoit.
Sur ce discours vint Sforce, qui dit qu’on mettoir en pieces Sauli par le Conclave, c’est à dire qu’on travailloit à son exclusion tant qu’on pouvoit. Dequoy Aquaviva pensa enrager, et alla sur le champ adviser de la faire cesser.
Je fus tout estonné que sur les trois heures de nuit, qui sont environ dix heures du soir en France, il vint bruit par le Conclaue qu’il falloit prendre le rochet, et aller faire Congregation generale, pour resoudre si on oyroit l’Ambassadeur d’Espagne qui vouloit audience pour une chose de tres-grande importance. Cela émeut infiniment toute la Compagnie, et plus que je ne le sçaurois exprimer : car premierernent il n’y eut celuy qui ne pensast que ce fust un stratageme de quelqu’un des partis, pour surprendre l’autre, et mener le College dans la Chapelle pour faire un Pape de forte que d’ un costé ny d’autre personne ne le vouloit prendre: chacun discouroit et comrnentoit sur ce que ce pouvoit estre et que pourroit vouloir dire l’Ambassadeur d'Espagne à cette heure là. Ceux qui disoient que c'estoit la mort du Roy ou de la Reyne d’Espagne, ne trouvoient pas que la cause fust urgente, pour mettre le College a cette heure-là en confulson. Tellement que chacun croyoit qu'il eust à parler de quelque chose de bien g rand touchant le Conclave; comme de faire une protestation contre le Cardinal Baronius, ou un ressentiment de ce qu’Aldobrandin avoit dit ces jours passez à Avila, ou quelque chose imaginable beaucoup plus grande que tout cela. Sur cette grande suspension d'esprit, voila l’Ambassdeur à la porte qui s’excusa de parler, que tous ceux qui estoient à l'entour de luy ne fussent sortis, pour estre ce qu’il avoit à dire de trop grande importance. On fit retirer un chacun, mesme les Conclauistes. Et ce fut enfin pour faire entendre un advis qu’il avoit eu du Comte de Fuentes, comme quelques jeunes Anglois estudians à Padouë devoient se joindrè à d'autres qui estoient partis d' Angleterre, faisans en tout le nombre de 500, et vestus en pelerins, pour saccager et piller l'Eglise Nostre Dame de Lorette. Il y avoit trois semaines que cét advis avoit esté donné au College, qui n'en avoit tenu autre conte que de faire que le Cardinal Gallo, Protecteur dudit lieu, mandaist au Gouverneur d'y prendre garde. Tellement que je puis dire que de toutes les impertinences que je vis jamais en ma vie, celle-là estoit la plus solemnelle. Aussi tous les Cardinaux de cette faction en eurent tres-grande honte, ne pouvant trouver des paroles suffisantes pour l'excuser, et les autres s’en mocquoient bien fort. Il adjousta qu’il apportoit une lettre que le Roy d’Espagne m’écrivoit, qui fut oubliée l' autre jour quand il bailla toutes les autres. Qui fut une autre impertinence.
Aprés cela, le Cardinal d’Est me vint trouver, et me dit qu’on faisoit la pratique de S. Clement, qui estoit son ennemy, qu’ils asseuroit que V.M. ne vouloit qu’il ne fust servy en cela de nous, dequoy il me prioit, Je luy répondis que je m’ émerveillois de deux choses de luy: I' une de quoy ll parloit de ce que personne autre que luy ne parloit : L’autre de ce qu’il esperoit, n’ayant voulu se declarer icy pour V.M. comme il avoit tousjours promis, et s’ estant non seulement uny avec les Espagnols, mais encore fait tout le pis qu’il avoit pû, contre un sujet que vous desiriez tant, comme le Cardinal Baronius : que pour luy qui n' avoit parlé de cela qu’aprés trois semaines du Conclave, nous voulussions si cruellement offenser Aldobrandin qui monstroit à V.M tant de bonne volonté, et qui estoit si puissant, et avoit un si grand moyen de la luy temoigner: que neantmoins en ce qui se pourroit je le servirois. Il s’en alla de moy fort picqué, et je restày fort estonné de sa pretention, et scandalizé de sa procedure, qui ne fut pas plus prudente à l’endroit des autres qu'il rechercha, de tous lesquels quasi il fut refusé.
J'allay de là faire enrendrë le tout au Cardinal Aldobrandin, lequel aprés m'avoit remercié de la réponse que je luy avois faite, me conta comme Borromeo et Sforce l' étoient venu prier de ne faire point 'exclusion de Sauli, et d’arrester le Cardinal Cesi qui y travailloit : comme aussi ledit Sauli luy-mesme l'en avoit prié peu devant: et qu’il leur avoit répondu qu’il ne la feroit point faire, mais,qu’il avoit grande occasion de s'offenser de ce qu’on la faisoit à S. Clement, duquel il ne parloit point : Et le trouvay si émeu, qu’il n’estoit pas possible de plus, bien qu'il` me dist que Montalto venoit de luy mander qu’il ne la feroit point.
Le Vendredy premier d' Avril [Friday, April 1, 1605], incontinent aprés le Scrutin, je pris le Cardinal Aldobrandin : et quoy que le Cardinal Delfin m’eust détourné de traitter encore de l`affaire de Florence, si est-ce que je me resolu de luy en parler à bon ecient, et effayer de l’y faire resoudre : et luy dis comme il avoit pû connoistre jusques icy nostre affection, constance et fidelité à le servir à tous ses interests : que je protestois de vouloir continuer : mais que sur l’asseurance qu’il m’avoit tousjours donnée de vouloir le Cardinal de Florence, je luy voulois bien dire comme ii‘y avoit trois jours que quelques Cardinaux de l’autre party me pressoient de luy faire sçauoir que s'il le vouloit, il n'y avoit point de doute qu’il ne luy reüssist : que je les avois tousjours rejettez, desirant de ne luy porter parole, que je ne visse grande reputation pour luy, comme en luy faisant l’ offre souventes fois dite et beaucoup plus de seureté, à sçavoir qu' ils s'asseurassent de tout leur party : mas qu' aprés avoir bien pensé à l'affaire, je trouvois que pour sa reputation, elle ne pouvoit estre plus grande, puisque c’estoit luy qui le choisissoit, et de qui seul dépendoit cét affaire : que pour la seureté, elle estoit si grande qu'il n’en falIoi douter, puisqu’ils s’offrroient à m’en donner parole, si je la luy voulois porter : que toutesfois je ne l’avois pas voulu accepter sans sfçavoir s’il le trouveroit bon : mais ce qui me donnoit sujet de luy parler d’autre façon que je n’avois fait, estoit que je reconnoissois que le retardement pourroit nuire à l’affaire, parce qu’on commençoit à en penetrer quelque chose, et que quelque Conclaviste mesrne en avoit parlé, que li cela s’éventoit, le bruit pourroit bien apporter du prejudice audit affaire. Il me demanda pourquoy cela nuiroit, et quel prejudice pourroit apporter le retardement. Je luy dis que ce seroit que les Espagnols se declareroient, et travailleroient à son exclusion : et que ceux qui estoient en bonne volonté se pourroient changer, ou se retirer pour le respect desdits Espagnols : là où s'il vouloit dés cette heure prendre leur parole, ils auroient cette bonne excuse de ne la pouvoir retracter : et que par ainsi il avisast de ne laisser perdre cét affaire. Se voyant pressé de cette façon, il ne menia point qu’il ne fust encore en esperance de faire reüssir une de ses creatures : mais il me dit qu’il falloit tenir cette pratique en pied, et en parler au Cardinal Saint Geore : ce qu’il feroit. Sur ce je le laissay en intention de le laisser encore un jour ou deux à passer ses fantaisies : mais me resoluant de haster ladite pratique plus qu’ il ne pensoit, aprés avoir pris la parole de tous ces Messieurs. Ledit Aldobrandin n'ayant laissé, il se mit à parler au Cardinal Delfin, qui me vint voir l’aprésdinée, et me dit qu’Aldobrandin luy avoit fait entendre tout ce que je luy avois dit, et que ce propos avoit fait grand effect, et qu’il s’estoit resolu de parler à S.George. Neantmoins il m’alla avec cela mêler certains autres propos de l‘esperance que ledit Aldobrandin avoit encore de ses creatures, entre lesquelles il me parla du Cardinal Tosco, d’une façon qui me sembla, si je ne me trompe, qu il le desiroit. J' eus d' autres visites qui furent cause que je ne sorty de ma chambre qu’environ les cinq heures : et m’en allant à la Chapelle, je trouvay qu’Aldobrandin se promenoit avec Florence, et l' entretenoit publiquement : ce que voyant je pensay tomber de mon haut, considerant le peu de disposition, en quoy je l’avois laissé le matin, de prendre si soudain une bonne resolution pour luy; croyant d’autre costé, que ne la prenant pas, il donnoit en cela un sujet tres-grand à ceux qui ne le vouloient point, de luy faire son exclusion. Cette consideration, avec ce que je voyois qu'en cette Chapelle estoient les Cardinaux Montalto, Ste Cecile, Farnese, Sforce, et dal Monte, qui ne s'émouvoient point pour travailler à cette exclusion, me fir penser qu’il falloit jouër à quitte ou à double, et se resoudre entierement ou de le faire Pape ce soir, ou de le perdre du tout, parce que l’affaire s’estant reduit en cét estat, l’attente seulement de trois heures le ruiner asseurément, parce que j'eu advis que sur cét entretien en public on commençoit desja à s’émouvoir par le Conclave : qui fut cause que j ’allay dire tout cela à Delfin, et le sommay de vistement faire resoudre Aldobrandin à passer outre tout sur l’heure, n’y ayant plus de moyen d’attendre. Et estant si pressé de moy, il fit l’office. Et aprés que ledit Delfin luy eut parlé, je pris aussi ledit Aldobrandin, et appellay encore le Cardinal du Perron, et luy dis franchement qu'aprés le propos du matin, je n'avois pas deliberé de le presser de quelques jours; mais puisque par son entretien avec Florence il l'avoit mis en estat d’estre ruiné dans une heure, comme je luy dis que je le sçavois asseurément, il falloit qu’il se resolust de faire ce que je sçavois bien qu’il desiroit. Sur cela il se fascha, et me dit qu’il ne s’y pouvoit resoudre avec cette haste: qu’il falloit qu’il parlait premierement à ses creatures, et principalement à S. George: qu’il desiroit qu’en telles occasions les Cardinaux Deti et del Bufalo, qui estoient hors du Conclave, revinssent : et qu’outre cela, il mettroit ce sujet en danger, et qu’il le sçauoit. Je luy dis qu’il ne perdist point de temps de parler à ses ceatures, ny à S. George : qu’il pouvoit envoyer querir vistement les Cardinaux Deti et del Buffalo; et que pour le peril qu’il y avoit en attendant plus long temps, il falloit passer outre, et que s’il avoit à se perdre, qu’on le perdist sur l'heure, parce qu’il le seroit encore plus dans deux heures, et que je prenois cela sur moy. Je luy repliquay cela mesme par plusieurs fois, et qu’il valoit mieux le voir perir à l’heure, qu’au lendemain que sa perte seroit plus asseurée. Et enfin il connut par mon discours, que s’il ne le faisoit, nous croirions qu’il n'y seroit allé de bon pied, et que si nous le connoissions, il ne pouvoit plus faire estat de nous : et je taschay de luy faire bien apprehender cela. Sur cela il fut encore pressé de mesme par les Cardinaux Borromeo, Visconti et Baronius, de façon qu’il se mist à parler à ses creatures selon qu'il les rencontroit, et à la suitte de ce, tous les autres qui vouloiet la mesme chose, de l'autre party, s'émeurent. Visconti fait à resoudre S. George avec difficulté: ses creatures s'assemblent, les Espagnols commencent a se remuer : qui me fit resoudre de commencer à me tenir coy une demie heure, de peur que sur ce qu’on penseroit que ce fust brigue de nation à nation, il ne s’enfuivist mauvais effect à l’endroit de plusieurs Cardinaux, vassaux du Roy d’Espagne. Enfin le Cardinal Aldobrandin m’envoyant querir, et me mandant que l’affaire alloit en avant, en m'acheminant je trouvay le Cardinal d’Oria pleurant et m' invitant de la part du Roy d`Espagne à l'exclusion de Florence, comme son ennemy capital. Je luy dis qu"il se mocquoit de moy, que je m’asseurois que le Roy d’Espagne le vouloit, et que luy qui me parloit en estoit aussi content, et taschay de le tirer et mener avec moy, mais je croy qu’il alla continuer sa belle pratique. Je trouvay dans une chambre du Conclaue quasi tous les Cardinaux avec leurs rochets, et le Cardinal d’Avila criant, tempestant, et protestant qu’on trahissbit le Roy d' Espagne, attendu que Florence estoit son ennemy, et qu’il n’en vouloit point, menaçant tous ses sujets de leur ruine. Ste CeciIe et Farnese soustenoient le contraire, et le reprenoient de son impudence. Enfin, on commença à s’acheminer à la chambre dudit Florence, où l’on le saluë. Montalto y vint avec toutes ses creatures, et tous les autres Cardinaux en foule. Sur ce, Aldobrandin prie qu’on ne bouge, que lesdits Cardinaux Deti et del Buffalo ne fussent entrez, dequoy j ’en devois : car c’estoit donner temps à Auila de faire bien du mal : durant cette attente, le Cardinal de Florence parloit comme estant Pape, et dit se vouloir appeller Leon X comme estant petit neveu de Leon X. Lesdits Cardinaux estant entrez, et Aldobrandin venant, nous le menons en la Chappelle. A la porte de la sale nous trouvasmes Avila qui l' arreste, et le prie de l' excuser s’il avoit fait des resistances, et quelque escapade, mais qu’il avoit eu commandement de son Maitre de s' oppofer à luy. Il luy répondit: le Roy d’Espagne n’en avoit jamais eu sujet.
De la nous le menons en la Chapelle, où il fut esleu d’un commun consentement, vestu en Pape, mené dans la chambre de Farnese, laquelle par sort se trouva la meileure, parce que la sienne fut incontinent dévastfée, où tous les Cardinaux demanderent des graces, et dormit cette nuit fort peu.
Le Samedy [Saturday, April 2] au matin, on le porta dans S. Pierre, où l’on le mit sur l’Autel, pour l'inthroniser, comme on dit : nous l’adorasmes puis le conduisismes dans sa chambre.
Il ne fussisoit pas aux Espagnols de s’estre opposez ouvertement à l' élection de Leon XI. tandis qu’elle estoit à
faire, s’ils ne la combatttoient encore secrettement aprés qu’elle fut faite, et n’ayant sceu empescher avec tous leurs efforts qu’il ne fût Pape, ils resolurent d’empécher par leurs menées qui’il ne le fust pas long-temps, et luy abregerent effectivement le Pontifîcat avec la vie : au moins, s’il faut adjoûter foy aux menaces de leurs gens mesmes. Lesquels s’estans vantez qu’ils s'en déferoient au plûtost par poison, le Cardinal de Ioyeufe, comme s’il eût eu interest particulier de conseruer celuy qui estoit aucunement son ouvrage, ne manqua pas d’en faire donner advis à sa Sainteté. Quoi qu’il en soit, la mort precipitée de ce Pape donna incontinent lieu à un second Conclaue, et fut par consequent uvn nouveau sujet de fatigue a nostre Cardinal. Lequel soûtenant avec un pareil courage les nouveaux et derniers efforts des Espagnols animez de dépit, et qui croyoient que
ce fût au moins leur tour à reüssir en ce Conclave, puisque les François leurs competiteurs avoient eu tout l’avantage en l’autre, ne laissa pas de se maintenir encore heureusement en possession de faire incliner en faueur de qui bon leur sembloit....
The text also appears in Les ambassades et negociations du Cardinal du Perron (Paris 1633), pp. 578-638, where the editor remarks that the letter is not the work of Cardinal du Perron, but of Cardinal de Joyeuse.
John Paul Adams, CSUN
john.p.adams@csun.edu